Saisie-contrefaçon : 2 ans de jurisprudence après la loi de lutte contre la contrefaçon

Article publié dans la revue Propriété Industrielle – Mai 2010

La transposition de la Directive CE n°2004-48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle a marqué l’entrée de l’Europe dans une ère nouvelle de lutte contre la contrefaçon, matérialisée en France par la loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007.

Cette loi n’a pas littéralement bouleversé l’état du droit de la saisie-contrefaçon, puisque la France bénéficie d’une longue tradition en la matière, mais la jurisprudence révèle une tendance certaine des saisis à présenter des moyens de défense de plus en plus sophistiqués, notamment au regard du risque d’atteinte au secret des affaires. La saisie-contrefaçon devient donc un exercice très périlleux pour les titulaires de droit de propriété intellectuelle.

Le présent article détaille une sélection de décisions françaises datant des 30 derniers mois, qu’elles aient été rendues ou non sous l’empire de la loi n°2007-1544 et se veut un guide fonctionnel et non exhaustif à l’attention des praticiens de la saisie-contrefaçon sur les pièges à éviter et/ou les irrégularités dont ils peuvent profiter.

I. La requête et l’ordonnance autorisant la saisie

La procédure de saisie-contrefaçon étant non contradictoire, le saisissant se doit d’être parfaitement transparent sur les droits qu’il invoque, pour éviter que pendant une éventuelle procédure de rétractation, le juge n’ait l’impression de ne pas avoir eu en main toutes les informations nécessaires (1 et 2). Une modification de la loi n°2007-1544 qui semble anodine sur « tout document se rapportant » à la contrefaçon confirme désormais la possibilité de saisir des documents comptables (3). Par ailleurs, le saisi ne saurait se prévaloir de l’absence de mention des voies de recours sur l’ordonnance pour faire annuler la procédure (4).

1. L’identification du titulaire et la preuve de ses droits

L’existence d’un contentieux sur ce point révèle que des informations assez basiques, telles que l’identification du titulaire et la preuve de ses droits font l’objet de nombreuses erreurs, qui peuvent se révéler fatales pour le saisissant.

Dans un arrêt rendu le 3 juin 2008 [1], la chambre commerciale de la Cour de Cassation a eu à apprécier le cas d’une société qui avait été autorisée à procéder à une saisie-contrefaçon en étant représentée par son directeur général. Le saisi a relevé que ce dernier n’avait pas le pouvoir d’agir au nom de la société. La société saisissante soutenait que lors d’une assemblée générale extraordinaire avait été mentionnée l’adoption d’une résolution prévoyant d’attribuer au directeur général les mêmes pouvoirs que ceux dévolus au président. Constatant que cette décision n’avait pas été reprise dans la mise à jour ultérieure des statuts, la Cour de cassation a confirmé l’existence d’une irrégularité de fond affectant la requête de saisie-contrefaçon et l’assignation. L’indication du représentant de la société n’est donc pas si anodine lors de la préparation de la requête.

Dans un arrêt du 29 janvier 2008 [2], la chambre commerciale de la Cour de Cassation a également sanctionné un autre problème d’identification du requérant. La Cour a confirmé la rétractation de deux ordonnances sur requête car les mentions relatives à la forme sociale et au numéro d’immatriculation au RCS de la requérante étaient erronées. Il ne s’agit en effet pas d’une simple erreur matérielle, mais d’une erreur substantielle portant sur les éléments déterminants que sont la qualité et la capacité pour agir, qui ne sont pas susceptibles de rectification. Toute erreur sur ce point est donc irrattrapable.
Le même arrêt traite également en matière de brevet des éléments que le requérant doit justifier auprès du juge des requêtes. L’article R.615-2 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle impose uniquement la communication du brevet pour l’obtention d’une saisie-contrefaçon. Néanmoins, l’arrêt, conforme en cela avec la pratique dominante, indique que le requérant est tenu, non seulement de présenter le brevet sur lequel il se fonde, mais aussi de justifier que ce titre est en vigueur et, s’il n’en est pas le propriétaire initial, qu’il est en droit d’en invoquer le bénéfice en indiquant précisément les pièces invoquées à l’appui de sa requête. Comme précédemment, à défaut d’avoir respecté ces formalités, le requérant ne pourra pas les régulariser en cours de procédure.

Il est permis de croire que cette solution devrait être appliquée également en matière de marques et de dessins et modèles.

2. L’identification du juge des requêtes

L’identification de l’auteur de l’ordonnance sur requête est toute aussi importante. En effet, dans un arrêt de rejet du 22 septembre 2009 [3], la Cour de cassation a confirmé l’annulation d’une ordonnance sur requête établie sous la mention « nous, président », sans plus de précision permettant d’identifier son auteur et se terminant par une signature illisible. Cette annulation a évidemment causé la nullité de la saisie et l’échec de la procédure de contrefaçon.

L’argument du saisissant selon lequel la mention « nous, président » faisait présumer que la décision avait bien été rendue par le président du Tribunal de Grande Instance en personne, seul compétent pour autoriser la saisie-contrefaçon a été littéralement balayé puisqu’aux termes des articles 454 et 458 du Code de procédure civile, l’absence de mention du juge est une cause de nullité de la décision. D’où l’importance de bien vérifier le contenu de l’ordonnance sur requête (la juridiction, le nom du juge, la date et le nom des parties) avant de la faire exécuter.

3. La saisie des documents comptables

La loi de lutte contre la contrefaçon a certes introduit le droit d’information, mais ce droit peut se heurter en pratique à la mauvaise volonté du contrefacteur pour révéler ses informations comptables pendant le déroulement de la procédure. Il est donc préférable d’obtenir le maximum de documents durant la saisie-contrefaçon afin d’avoir au plus tôt une idée assez précise de l’étendue du préjudice subi.

Dans une affaire jugée par la Cour d’appel de Paris le 22 février 2008 [4], le saisi reprochait au titulaire d’un droit d’auteur d’avoir obtenu l’autorisation pour l’huissier de copier tous comptes, factures ou documents permettant de déterminer l’origine et l’étendue de la contrefaçon. Cette mesure excédait selon lui les pouvoirs accordés au juge des requêtes. La Cour d’appel a rejeté cette analyse en répondant que la saisie-contrefaçon « ayant des fonctions tant probatoires que conservatoires », la mission donnée à l’huissier ne présentait rien de reprochable. La saisie des documents comptables rentre donc dans le champ des mesures pouvant être accordées par le juge des requêtes. Cette solution est désormais applicable également en droit d’auteur.

Par le passé, plusieurs arrêts avaient annulé de telles saisies, au motif que l’article L.332-1 du Code de la propriété intellectuelle ne prévoyait pas expressément cette mesure. Cette rédaction n’a pas évolué avec la loi du 29 octobre 2007, alors qu’en matière de marque, brevet ou modèle, les articles relatifs à la saisie-contrefaçon permettent au demandeur de faire saisir « tout document se rapportant » à la contrefaçon. La clarification de la Cour d’appel est donc la bienvenue puisqu’on ne voit pas en quoi cette saisie devrait être autorisée pour les droits de propriété industrielle, mais pas pour le droit d’auteur. Néanmoins, la motivation de la Cour peut paraître critiquable dans la mesure où l’interprétation extensive qu’elle retient de l’article L.332-1 s’oppose au principe d’interprétation stricte qui doit gouverner les textes permettant de telles mesures d’ingérence dans la vie de l’entreprise.

Dans un jugement du 3 novembre 2009, le Tribunal de Grande Instance de Paris [5] a utilement précisé que « la saisie-contrefaçon et le droit à l’information doivent se compléter et permettre au breveté d’établir, avant tout procès pour la première et suite à une instance au fond pour le second, la matérialité de la contrefaçon, son étendue et son origine ». Le Tribunal en a déduit que la saisie de documents commerciaux ou comptables n’était pas contraire au droit d’information qui est « un nouvel outil juridique donné au titulaire du droit pour obtenir des informations auxquelles n’a pas pu avoir accès antérieurement ».

4. La mention des voies de recours dans l’ordonnance

Est-il nécessaire que l’ordonnance autorisant la saisie mentionne les voies de recours ouvertes au saisi ? C’est la question à laquelle ont récemment répondu deux cours d’appel.

Dans l’affaire soumise à la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 3 décembre 2008 [6], le saisi soulevait la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon au motif qu’il n’aurait pas eu connaissance des voies de recours dont il pouvait disposer dans l’ordonnance. La Cour a refusé d’annuler les opération en estimant que la mention des voies de recours n’était pas exigée par le Code de la propriété intellectuelle et a rappelé que l’ordonnance autorisant la saisie relevait du régime général des ordonnances sur requête, à propos desquelles l’article 496 du Code de Procédure Civile précise que tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance. La Cour a cependant ajouté que l’introduction du référé-rétractation n’étant soumise à aucune condition de délai, le défaut de mention des voies de recours ne saurait être qu’un vice de forme, à l’égard duquel le saisi ne justifie d’aucun grief. Cette motivation est pour le moins étrange puisque selon la Cour, la mention des voies de recours ne serait pas une obligation légale, mais le défaut d’une telle mention serait quand même constitutif d’un vice de forme?

La solution exposée par la Cour d’appel d’Aix en Provence dans un arrêt du 8 janvier 2009 [7] semble plus convaincante. Après avoir rappelé le régime des ordonnances sur requête de droit commun comme la Cour d’appel de Paris, les juges aixois ont également indiqué que l’article 680 du Code de Procédure Civile qui impose l’indication des voies de recours et des délais correspondants ne concerne que les jugements, alors que la décision autorisant la saisie-contrefaçon est une ordonnance. Par ailleurs, l’article L.332-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, applicable en l’espèce pour une saisie-contrefaçon de droit d’auteur, n’impose pas non plus la mention dans l’ordonnance de la possibilité de rétractation ouverte au saisi.

II. Le déroulement de la saisie-contrefaçon

C’est durant son exécution que la saisie-contrefaçon devient la plus délicate et suscite le plus de contentieux. Les contours de la mission de l’huissier et des tiers qui l’accompagnent le cas échéant doivent donc être définis avec précaution

1. La mission de l’huissier

– La signification préalable de la requête et de l’ordonnance

Pour permettre au saisi de vérifier l’étendue des pouvoirs qui ont été conférés à l’huissier, celui-ci doit évidemment signifier l’ordonnance ayant autorisé la saisie avant son déroulement. Cette obligation est prévue par l’article 495 du code de procédure civile selon lequel « copie de la requête et de l’ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée ».

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 9 novembre 2007 [8] indique plusieurs éléments intéressants à ce propos. Tout d’abord, la Cour expose que l’accord du saisi pour le déroulement de la mesure ne saurait prouver la signification préalable de l’ordonnance. Il est également indifférent que, matériellement la requête et l’ordonnance constituent un seul et même document, puisqu’il s’agit d’actes juridiques distincts. La mention de la remise de l’ordonnance ne prouve donc pas la remise de la requête. Cependant, la Cour précise que le défaut de signification préalable de la requête et de l’ordonnance n’entraîne la nullité de la saisie-contrefaçon que si le saisi justifie du grief causé par cette irrégularité. Le défaut de signification n’a donc la valeur que d’une irrégularité de forme. Par prudence, il est conseillé de veiller à la signification de la requête et de l’ordonnance, et si celles-ci sont matériellement sur un seul document, l’huissier doit bien mentionner qu’il a signifié les deux.

Par ailleurs, selon un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 6 octobre 2009 [9], l’huissier se doit de laisser un délai raisonnable entre la remise de l’ordonnance et le début des opérations afin de permettre au saisi d’être informé des motifs justifiant la mesure et de l’étendue des investigations autorisées. En l’espèce, un délai d’une minute avait été accordé par l’huissier. Selon le Tribunal, « admettre qu’un tel délai puisse être qualifié de raisonnable aurait comme conséquence de vider de son sens la remise préalable de l’ordonnance au saisi. Ce défaut de remise préalable a causé un grief [au saisi] qui n’a pas pu s’assurer de la porter de l’ordonnance et de la régularité des opérations se saisie-contrefaçon et ainsi faire valoir ses droits de la défense ».

– L’identification de l’huissier

Si le requérant doit être vigilant sur ses coordonnées, il en est de même  pour l’huissier. Dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 10 avril 2009 [10], le procès-verbal de saisie-contrefaçon ne comportait pas le nom de l’huissier ayant instrumenté. Or, aux termes de l’article 648 du Code de Procédure Civile, il s’agit d’une mention devant figurer à peine de nullité sur tout acte d’huissier de justice. La Cour en a déduit qu’il convenait d’annuler le procès-verbal. Le fait que le nom de l’un des huissiers de la SCP concernée soit rayé sur un autre acte que celui dont la validité est critiquée ne permettait pas de remédier à l’irrégularité affectant cet acte.

Une solution directement contradictoire a cependant été retenue par la Cour d’appel de Rennes dans un arrêt du 16 juin 2009 [11]. Le procès-verbal de saisie-contrefaçon avait été annulé en première instance au motif qu’il ne précisait pas l’identité de l’huissier membre de la SCP ayant effectivement instrumenté. La Cour d’appel de Rennes a infirmé cette solution en indiquant que l’omission de ces mentions constituait une irrégularité de forme qui n’est sanctionnée par la nullité de l’acte que s’il en résulte un grief pour l’intéressé. En l’absence de preuve de ce grief, le procès-verbal devait être considéré comme valable.

Cette solution nous semble la plus pertinente, dans la mesure où l’article 649 du Code de procédure civile prévoit que la nullité des actes d’huissier est régie par les dispositions gouvernant la nullité des actes de procédure. L’article 114 du même code précise, à propos de la nullité des actes de procédure, que celle-ci ne peut être prononcée qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public. Ce type d’erreur ne serait donc pas fatal.

– L’apposition obligatoire du cachet et de la signature de l’huissier

La même solution doit semble-t-il être suivie selon le Tribunal de Grande Instance de Paris  à propos du cachet et de la signature de l’huissier. Dans l’espèce ayant donné lieu au jugement du 30 septembre 2008 [12], des clichés avaient été pris lors d’une saisie-contrefaçon par l’huissier, et ils avaient été joints au procès-verbal de saisie sans être revêtus de son cachet. L’obligation d’apposer cachet et signature sur chaque page annexée et numérotée permet d’authentifier la provenance de ces pages. Il s’agit cependant pour le Tribunal d’une nullité de forme pouvant être couverte à tout moment, et notamment par la communication du premier original.

– Le respect des termes de l’ordonnance

Dans un arrêt du 9 novembre 2007 [13], alors que l’huissier avait saisi plus d’exemplaires des produits litigieux que prévu dans l’ordonnance, la Cour d’appel de Paris a jugé que ce non-respect par l’huissier des termes de l’ordonnance ne devait être sanctionné que si le saisi démontre l’existence d’un grief.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a eu également à se prononcer dans un jugement du 30 septembre 2008 [14] sur une saisie de trois catalogues alors que deux seulement étaient prévus dans l’ordonnance. Selon les magistrats, il s’agit d’une nullité de forme qui ne doit pas être sanctionnée en l’espèce puisque, s’agissant d’un document commercial distribué en nombre aux consommateurs, le saisi ne démontre pas de grief. Le Tribunal précise que même si la saisie des catalogues avait été fautive, seule la saisie réelle de ces documents aurait été annulée, sans impact sur le reste des opérations.

Dans une affaire ayant donné lieu à un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 7 janvier 2009 [15], aux termes de l’ordonnance ayant autorisé la saisie-contrefaçon, l’huissier était autorisé à saisir réellement ou reproduire « tous prospectus, brochures, catalogues et toutes pièces de comptabilité ou livres comptables d’où pouvait résulter la preuve de la contrefaçon, de sa provenance et de son étendue », à charge pour l’huissier de conserver au secret les éventuelles pièces comptables jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur communication. Or, l’huissier avait reproduit dans son procès-verbal des informations sur les clients et fournisseurs du saisi et transmis au saisissant un CD comportant des factures. Le Tribunal a jugé que l’huissier avait outrepassé sa mission et a condamné le saisissant à verser au saisi la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts. Le saisissant n’aurait en effet pas dû avoir connaissance de ces informations, sauf autorisation du juge obtenue dans le cadre d’une procédure contradictoire. Où l’on voit que l’excès de zèle éventuel de l’huissier peut coûter cher au titulaire de droit… La prudence veut donc que ce dernier refuse, éventuellement par écrit, la communication par l’huissier de toute information saisie violant le secret des affaires, tant que le sort de cette information n’est pas fixée par le juge ou permise par le saisi.

Enfin, dans l’espèce jugée par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 27 janvier 2009 [16], l’huissier avait annexé à son procès-verbal des pièces ne figurant pas sur la liste des documents qu’il était autorisé à appréhender. Cependant, le Tribunal a constaté que ces pièces lui avaient été remises spontanément et volontairement, en dehors de toute demande et investigation de l’huissier. Leur présence en annexe du procès-verbal ne suffit pas à caractériser un dépassement de sa mission.

2. La question des pouvoirs de l’huissier en l’absence de saisie réelle et de l’introduction d’objets sur les lieux

Dans le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 21 novembre 2007 [17], l’huissier qui s’était rendu dans différents magasins ainsi qu’au siège social de la société, n’avait pas pu saisir réellement les objets litigieux. Néanmoins, il avait pu prendre connaissance de l’origine des marchandises et de l’identité de son fabricant. Le saisi soulevait la nullité de la procédure au motif qu’elle aurait dû être limitée à l’établissement de la matérialité de la contrefaçon et non pas à la recherche de l’importance de la contrefaçon.

Constatant que la saisie descriptive ou réelle des objets et la saisie des documents comptables avait été autorisée par l’ordonnance sur requête, que le représentant du saisi avait reconnu la commercialisation des produits, et que les documents saisis étaient relatifs à la vente de ces produits, le Tribunal a déclaré valable le procès-verbal de saisie, puisque « la matérialité de la contrefaçon portant nécessairement sur l’étendue de celle-ci ».

Plus récemment, dans un arrêt du 29 avril 2009 [18], la Cour d’appel de Paris a eu à répondre à un saisi qui sollicitait la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon au motif que l’huissier aurait outrepassé sa mission en introduisant dans les locaux du saisi un objet portant la marque contrefaisante. La Cour d’appel n’a pas fait droit à cette demande en constatant qu’aux termes de l’ordonnance, l’huissier était habilité à faire toute recherche et constatation utile dans le but de découvrir la nature, l’origine et l’étendue de la contrefaçon. Si l’huissier n’est pas autorisé à apporter sur les lieux de la saisie des objets étrangers à celle-ci, il avait introduit en l’espèce un objet et sa facture d’achat visés dans l’ordonnance de saisie-contrefaçon. Ces objets n’étaient dès lors pas étrangers à sa mission et il était autorisé à s’en munir.

Cet arrêt semble néanmoins en contradiction directe avec l’arrêt rendu quelques jours plus tôt, le 2 avril 2009 [19] par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation. Dans cette espèce, comme précédemment, l’huissier avait pour mission de découvrir l’origine et l’étendue de la contrefaçon. La Cour d’appel en avait déduit qu’il était compétent pour interroger les employés de la société afin de se voir remettre des documents comptables permettant d’apprécier la masse contrefaisante, et qu’il pouvait introduire dans les locaux de la saisie objets présumés contrefaisants ainsi que le modèle original puisque ces objets, visés dans l’ordonnance, n’étaient pas étrangers à sa mission. La Cour de cassation a très clairement sanctionné cette solution en considérant, au visa de l’article L.332-1 du Code de la propriété intellectuelle, « qu’en l’absence de découverte préalable sur les lieux de la saisie d’objets argués de contrefaçon, l’huissier instrumentaire ne pouvait, sans y avoir été expressément et précisément autorisé, produire aux personnes présentes des objets visés par l’ordonnance afin de recueillir leurs déclarations spontanées quant aux actes argués de contrefaçon, de sorte qu’en procédant comme il l’a fait, [il] a excédé les limites de sa mission ».

Cet arrêt a été depuis confirmé par la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 juillet 2009 [20]. Selon cet arrêt, seule la présence des objets présumés contrefaisants ou de documents tels que des catalogues ou brochures les reproduisant peut justifier l’audition des personnes présentes et la saisie de ces documents. Cette solution ne paraît pas très satisfaisante dans la mesure où elle semble condamner les saisies effectuées au siège social du présumé contrefacteur où l’huissier pourra trouver des documents comptables, mais pas nécessairement les objets argués de contrefaçon dont le lieu de stockage peut être inconnu ou hors du ressort de l’huissier.

Il est donc recommandé d’anticiper ce problème (i) en obtenant du juge des requêtes d’autoriser explicitement l’huissier à obtenir des documents correspondant au nom (ou à la référence, au code-barres?) de l’objet malgré l’absence éventuelle sur les lieux de celui-ci, (ii) en interdisant à l’huissier d’introduire sur les lieux tant les objets authentiques que les objets contrefaits.

Enfin, dans un arrêt du 29 septembre 2009 [21], la chambre commerciale de la Cour de cassation a sanctionné pour défaut de motivation la Cour d’appel qui n’avait pas répondu aux conclusions du saisi faisant valoir que l’huissier n’avait pas le pouvoir d’apporter sur les lieux un modèle de sac, qui n’avait pas été trouvé sur place. L’ordonnance sur requête avait autorisé l’huissier à saisir deux exemplaires du sac litigieux dans chacune de ses versions disponibles, mais n’avait semble-t-il rien précisé quant à l’introduction d’un objet sur place. La sévérité semble donc définitivement de mise à ce sujet.

3. La présence de tiers

– La mission du tiers

Dans un arrêt du 21 décembre 2007 [22], confirmé par un arrêt de la Cour de Cassation du 3 mars 2009 [23], la Cour d’appel de Paris a eu à se prononcer sur la mission du tiers qui accompagne parfois l’huissier lors de la saisie. Dans cette affaire, le procès-verbal de saisie-contrefaçon a été annulé du fait de l’inversion des rôles entre l’huissier et l’expert. En effet, celui-ci ne s’était pas limité à une mission d’assistance : il avait directement demandé au saisi de produire des factures, avait fourni à l’huissier une description orale du procédé litigieux répondant aux observations du saisi et même produit un dessin qu’il avait lui-même fait dans des conditions ignorées pour illustrer sa démonstration. L’huissier s’est donc borné à enregistrer les constatations du conseil. Si la présence d’un expert, surtout en matière de brevet, semble très utile, il faut veiller à ce que ce dernier ne dépasse pas son rôle pour ne pas mettre à néant l’intégralité de la procédure. C’est bien à l’huissier de conduire la saisie et de recueillir les observations de l’expert si nécessaire.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris s’est également prononcé à ce sujet dans un jugement du 5 mai 2009 [24]. Les juges ont considéré que l’emploi d’une terminologie technique dans le procès-verbal créait une incertitude quant à l’identité de celui qui avait constaté les faits, huissier ou expert. Cette incertitude affecte l’ensemble des mentions du procès-verbal et entraîne sa nullité.

Comme l’a très bien résumé le Tribunal de Grande Instance de Paris dans un jugement du 30 septembre 2009 [25], « l’huissier doit procéder personnellement aux opérations de saisie-contrefaçon, l’assistance d’un expert n’étant là que lorsque la technicité de l’invention est telle que l’huissier ne peut décrire seul ce qu’il constate ». Il s’ensuit que les opérations de saisie ne peuvent être contestées si rien ne prouve que « l’huissier a écrit sous la dictée du conseil en propriété industrielle ».

– L’indépendance du tiers

Une solution évidente a été rappelée par la Cour de Cassation, dans un arrêt du 8 juillet 2008 [26]. Une ordonnance sur requête ne peut en effet pas autoriser le requérant ou ses préposés à assister à la saisie-contrefaçon.

Cependant, dans d’autres circonstances, l’indépendance du tiers n’est parfois pas évidente. C’était le cas dans l’espèce jugée par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 5 mai 2009 [27]. Dans cette affaire, le technicien qui avait assisté l’huissier lors de la saisie appartenait à une société cliente fidèle du saisissant. Le saisi avait invoqué l’absence d’indépendance de ce technicien pour solliciter la nullité de la saisie-contrefaçon. Le Tribunal a néanmoins décidé qu’il ne pouvait être déduit de la seule qualité de cliente, fidèle ou non, de la société ayant présenté l’expert, que celui-ci ne remplissait pas la qualité d’indépendance requise, dès lors qu’il n’était ni un membre de la société requérante, ni l’un de ses subordonnés.

A propos de la présence lors de la saisie d’un conseil en propriété industrielle, la Cour d’appel de Paris a rappelé le 3 décembre 2008 [28] la solution dégagée pour la première fois par la Cour de cassation le 8 mars 2005. En effet, la présence d’un conseil en propriété industrielle lors de la saisie-contrefaçon, fût-il le conseil habituel du saisissant, ne viole pas l’article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme consacrant le droit à un procès équitable, dans la mesure où le conseil exerce une profession indépendante, dont le statut est compatible avec la qualité d’expert du saisissant. Il en était de même en l’espèce à propos de la présence d’une ingénieur débutante auprès du cabinet de conseil en propriété intellectuelle, puisque celle-ci était liée à ce cabinet par un contrat de travail la soumettant au secret professionnel et à une obligation de confidentialité.

III.    Suites et abus de la saisie-contrefaçon

Passer sans encombres les étapes de la requête et de l’exécution de la saisie ne signifie pas que le reste de la procédure sera sans danger. En particulier, les conditions régissant l’introduction de l’assignation au fond suivant la saisie révèlent des pièges dont le saisi ne manquera pas de se servir. La saisie-contrefaçon est également susceptible d’abus ou de détournements que la jurisprudence ne pardonne pas.

1. L’assignation au fond

– Délai pour agir

Le délai pour se pourvoir au fond après la saisie-contrefaçon donne lieu à un contentieux intéressant. Le Tribunal de Grande Instance de Paris a ainsi utilement rappelé le 9 septembre 2008 [29] les règles applicables à la computation des délais issues des articles 640 à 642 du Code de procédure civile :
– lorsqu’un acte doit être accompli dans un certain délai, celui-ci a pour origine la date de l’évènement (acte, décision ou notification) qui le fait courir,
– si le délai est exprimé en jours, le jour de l’évènement ne compte pas,
– tout délai expire le dernier jour à 24 heures et si ce jour tombe un samedi, un dimanche ou un jour férié, le délai est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant. En l’espèce, le délai pour agir qui aurait dû expirer le samedi 3 juin a pu être prorogé au mardi 6 juin à 24 heures, le lundi 5 juin étant férié.

Dans un arrêt du 22 février 2008 [30], la Cour d’appel de Paris s’est prononcé sur le cas d’un saisi qui demandait l’annulation des opérations de saisie-contrefaçon autorisées en droit d’auteur sur le fondement de l’article L.332-1 du Code de la propriété intellectuelle, au motif que le saisissant ne s’était pas pourvu au fond dans le délai de 15 jours, applicable à l’époque. La Cour a considéré que cet article n’imposait pas l’obligation de saisir la juridiction du fond sous peine de nullité des opérations réalisées, dans la mesure où les délais dont font état les articles suivants sont relatifs à l’engagement de la procédure de mainlevée. La demande d’annulation a dès lors été rejetée. Cette solution nous semble injustifiée.

En effet, alors que pour les différents droits de propriété industrielle, l’assignation hors délai entraîne la nullité des opérations de saisie sans que le saisi ait à motiver sa demande, en matière de droit d’auteur, la mainlevée de la saisie n’est pas nécessairement accordée, notamment si le saisi ne prouve pas que le dépassement du délai lui a causé un grief. Les saisies-contrefaçon de droit d’auteur souffrent ainsi d’une différence de traitement par rapport aux autres droits de propriété industrielle, qui semble contraire à l’article 7 alinéa 3 de la Directive n°2004-48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle [30].

Il ressort en effet de cet alinéa que le non-respect du délai raisonnable dans lequel le demandeur doit se pourvoir au fond après la saisie doit être sanctionné par l’abrogation ou la cessation totale des effets de la saisie. Aucune des preuves recueillies lors de la saisie-contrefaçon ne devrait donc être gardée dans la procédure. Cette règle n’exige pas de motivation du saisissant ou la preuve par celui-ci de l’existence d’un préjudice, ne différencie pas entre les types de droits de propriété intellectuelle ou industrielle et ne laisse pas de place à l’appréciation du juge. La mainlevée facultative prévue en droit d’auteur en droit français n’est donc pas conforme à la Directive et un arrêt de clarification serait le bienvenu sur ce point.

– Conséquences sur la saisie de l’assignation devant un juge incompétent

Ce débat est particulièrement d’actualité au regard de l’incertitude qui a plané récemment sur la compétence du tribunal de commerce en matière de droit d’auteur et de dessins et modèles.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour d’appel de Douai du 12 février 2008 [32], le tribunal de grande instance saisi par le demandeur avait prononcé son incompétence territoriale. Le saisi considérait en conséquence que le procès-verbal de saisie-contrefaçon devait être annulé pour défaut de saisine du tribunal compétent dans le délai prévu par l’article L.615-5 du Code de la propriété intellectuelle. La Cour a néanmoins décidé que la délivrance au saisi d’une assignation valable dans le délai légal suivant la saisie-contrefaçon a pour effet d’ouvrir l’instance en contrefaçon, et en cas de saisine d’une juridiction incompétente, c’est la même instance qui se poursuit devant la juridiction déclarée compétente. Les opérations de saisie-contrefaçon ont donc été validées.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a suivi cette analyse dans un jugement du 6 mai 2009 [33],  traitant d’une incompétence du Tribunal de Commerce en matière de modèle (Pour des arrêts antérieurs en sens inverse, voir note sous PIBD n°902 III p1328).

– Quid de la saisie-contrefaçon en cours de procédure ?

Dans un arrêt du 26 mars 2008 [34], la Cour de cassation se penchait sur le cas d’un demandeur qui avait obtenu l’autorisation de faire procéder à une saisie-contrefaçon, après avoir assigné le présumé contrefacteur. Sur demande du saisi, l’ordonnance sur requête avait été rétractée, solution qui avait été confirmée par la Cour d’appel. La Cour de cassation rejette le pourvoi du saisissant en décidant que dès lors que la juridiction est saisie au fond, seul l’article 812 du Code de procédure civile est applicable à l’exclusion des règles du Code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, le demandeur ayant omis de faire état de l’instance au fond devant le juge ayant autorisé la saisie, la Cour de cassation en a déduit que cette mesure avait été obtenue dans des conditions abusives.

Pour rappel, l’article 812 précité donne compétence au Président du Tribunal de Grande Instance pour rendre les ordonnances sur requête et l’alinéa 3 de cet article prévoit précisément que les requêtes afférentes à une instance en cours sont présentées au Président de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi. Il semble donc opportun de confier au juge qui connaît déjà l’affaire la faculté d’autoriser une saisie-contrefaçon. L’introduction d’une procédure au fond est une information essentielle que le saisissant ne peut évidemment pas cacher au juge autorisant la saisie.

Un jugement du Tribunal de Grande Instance Paris du 14 janvier 2009 [35] est allé plus loin dans l’analyse. En l’espèce, une requête en saisie-contrefaçon avait été présentée devant le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg alors qu’une inhabituelle « action en déclaration de non-contrefaçon » était déjà en cours entre les parties devant le Tribunal de Grande Instance de Paris. Ce dernier a rappelé les termes de l’article 812 alinéa 3 du Code de Procédure Civile et indiqué que dès lors que la juridiction est saisie au fond (que ce soir pour une action en contrefaçon ou en déclaration de non-contrefaçon), les articles du Code de la propriété intellectuelle ne sont plus applicables. La seconde saisie a donc été obtenue dans des conditions abusives. Le Tribunal précise enfin que les termes de l’article 496 du Code de Procédure Civile prévoyant que tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance n’interdisent pas au tribunal saisi du fond d’apprécier la validité de la procédure de saisie.

Enfin, dans un jugement datant du 30 septembre 2008 [36], le Tribunal de Grande Instance de Paris a ajouté une nouvelle contrainte au saisissant. En effet, celui-ci avait fait diligenter une première saisie-contrefaçon, puis avait assigné le présumé contrefacteur, et obtenu ensuite une seconde saisie-contrefaçon. Le défendeur soutenait que le procès-verbal de cette seconde saisie devait être annulée du fait de l’absence de saisine du Tribunal de Grande Instance dans le délai (ancien) de 15 jours de la saisie. Les magistrats lui ont donné raison en estimant que « lorsqu’une saisie-contrefaçon est réalisée alors qu’une juridiction est déjà saisie du litige, il appartient à la partie saisissante de prendre des conclusions additionnelles dans le délai de 15 jours suivant la saisie ». A défaut d’avoir respecté cette règle, le demandeur doit voir sa saisie réelle annulée. Encore une fois, on peut constater que les tribunaux n’hésitent pas à entourer la saisie-contrefaçon de nombreux garde-fous destinés à prévenir les excès des titulaires de droits.

2. La rétractation de l’ordonnance sur requête et la sanction de l’abus

– Juge compétent pour la rétractation de l’ordonnance et recours contre la saisie

Dans une ordonnance du 6 mai 2009 [37], un juge de la mise en état appartenant au Tribunal de Grande Instance de Paris a précisé qu’en application de l’article 496 du Code de Procédure Civile, seule la voie de la rétractation devant le juge qui a rendu l’ordonnance est ouverte à l’encontre de cette décision. Le juge de la mise en état est donc incompétent pour trancher une demande de nullité d’une ordonnance ayant autorisé la saisie-contrefaçon.

Dans la même ordonnance, le magistrat a décidé que la demande de nullité d’une saisie-contrefaçon relevait de la compétence du juge de la mise en état, dès lors que la nullité des opérations de saisie-contrefaçon se fonde sur l’article 112 du Code de Procédure Civile (régime de la nullité pour vice de forme) et que l’article 771 du même code relatif à la compétence exclusive du juge de la mise en état ne distingue pas entre les exceptions de procédure relevant de la procédure au fond et celles relevant de la procédure probatoire ayant été autorisée par le juge. Cette solution fait l’objet d’une controverse entre les différentes sections de la troisième chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris puisque la première et la deuxième section statuent dans le sens de la seule compétence du juge du fond (Voir à ce sujet la note sous PIBD n°902 III p1328).

– Nature du moyen de défense tiré de la nullité de la saisie-contrefaçon

A ce propos, la Cour d’appel de Paris avait décidé dans un arrêt du 28 mai 2008 [38] que les demandes en nullité de saisie-contrefaçon sont des exceptions de procédure qui doivent dès lors être soulevées avant toute défense au fond sous peine d’irrecevabilité. Cet arrêt était conforme à la solution dégagée par la Cour de Cassation dans un arrêt du 25 avril 2001 [39] à propos d’une saisie-contrefaçon avant laquelle l’huissier avait omis de signifier l’ordonnance sur requête, mais de nombreux jugements, notamment du Tribunal de Grande Instance de Paris, avaient refusé de suivre cette voie [40].

Un arrêt du 19 janvier 2010 [41], la Cour de cassation vient de casser cet arrêt d’appel. Au visa des articles 74, 112 et 563 du Code de procédure civile et L.521-1 du Code de la propriété intellectuelle, la Cour a ainsi jugé que « le moyen de nullité d’une saisie-contrefaçon, laquelle est un acte probatoire antérieur à la procédure de contrefaçon qui n’est introduite que par la demande en contrefaçon, ne constitue pas une exception de procédure au sens de l’article 73 du Code de procédure civile ».

Cet arrêt va dans le sens de la protection des intérêts du saisi puisqu’il permet à ce dernier de soulever la nullité de la saisie à tout moment. Il implique également que le juge de la mise en état ne puisse pas régler ce moyen de défense et que seule la formation de jugement est compétente pour en connaître.

– Etendue de la compétence du juge de la rétractation

Dans une affaire jugée par la chambre commerciale de la Cour de Cassation le 9 juin 2009 [42], la Cour d’appel avait considéré qu’il n’y avait pas lieu à rétractation d’une ordonnance sur requête autorisant une saisie-contrefaçon en retenant qu’il n’entrait pas dans les pouvoirs du juge saisi d’une demande de rétractation de rechercher si les mesures ordonnées violaient le principe d’épuisement du droit des marques. L’arrêt est cassé par la Cour suprême au motif que le juge saisi de la rétractation est investi des attributions du juge qui l’a rendue et doit, après débat contradictoire, statuer sur les mérites de la requête. Le moyen tiré de l’épuisement des droits ne ressortit donc pas au pouvoir exclusif du juge du fond.

– Conséquences de la rétractation de l’ordonnance et de l’annulation de la saisie

A ce sujet, la Cour de Cassation a rappelé une solution classique dans l’arrêt du 8 juillet 2008 précité [43], solution selon laquelle l’annulation d’une saisie n’implique pas l’interdiction pour le titulaire du droit de faire pratiquer une nouvelle saisie sur les mêmes éléments, juste après leur restitution au saisi. L’abus ne peut se déduire du seul caractère immédiat de cette réitération.

En outre, la Cour d’appel de Paris a également précisé le 10 septembre 2008 [44] que malgré la nullité de la saisie-contrefaçon pour défaut d’assignation dans le délai légal, l’action en contrefaçon pouvait prospérer s’il existait d’autres moyens de preuve de la contrefaçon. En l’espèce, la contrefaçon d’un modèle de robe n’a pu être établie puisque n’étaient versés aux débats aucun constat d’achat, et aucun autre document permettant d’identifier le modèle argué de contrefaçon. La saisie-contrefaçon étant par nature une procédure à risques, il n’est pas inutile de prévoir « la ceinture et les bretelles » en ajoutant si possible un autre moyen de preuve qui sauvera l’action en cas d’annulation de la saisie.

– Saisie-contrefaçon déguisée et détournements de procédure

Les pouvoirs donnés au titulaire de droits peuvent être utilisés à mauvais escient ou tout simplement détournés. C’était le cas dans l’affaire jugée par la Cour d’appel de Nancy le 4 février 2008 [45]. Afin de prouver la contrefaçon de son brevet, le demandeur avait fait réaliser deux constats d’huissier dont l’un mentionnait que le produit litigieux était conforme au descriptif et aux photographies annexées au brevet, ainsi qu’un constat établi par un expert privé. Ce dernier indiquait que son intervention consistait à compléter les constats d’huissier par des explications techniques établissant la réalité ou non de la contrefaçon. Dans son rapport de deux pages, l’expert avait même conclu à la contrefaçon du brevet. La Cour d’appel a considéré que la combinaison des constats d’huissier et de l’expert privé constituait finalement une saisie-contrefaçon déguisée, effectuée en dehors de toute autorisation judiciaire et des formes légales prévues pour cette mesure. Ces pièces ont donc été annulées.

La Cour d’appel de Chambéry s’est prononcée sur un autre exemple d’abus le 16 décembre 2008 [46]. Le demandeur avait saisi par voie de requête le Président du Tribunal de Commerce sur le fondement de l’article 145 du Code de Procédure Civile afin d’obtenir des mesures d’enquête chez un concurrent. La requête était fondée sur une violation de brevet et sur un risque de concurrence déloyale par détournement de savoir-faire. Dans ce cas, la Cour a estimé que seul le président du Tribunal de Grande Instance était habilité à ordonner une mesure d’investigation dans les conditions prévues par l’article L.615-5 du Code de la propriété intellectuelle. La saisine du président du Tribunal de commerce procédait donc d’un détournement volontaire de la procédure de saisie-contrefaçon pour obtenir à l’insu du saisi l’autorisation de procéder à des investigations de portée quasi générale puisque s’étendant aux domaines industriel, commercial et administratif. La rétractation de l’ordonnance sur requête a donc été prononcée et le requérant s’est vu condamné à 25.000 euros de dommages-intérêts du fait de la désorganisation des services du saisi.

Conclusion

Contenir la témérité des saisissants et renforcer la protection des saisis, telle pourrait être la leçon à retentir de ces deux ans et demi de jurisprudence. Cependant, malgré les efforts des tribunaux pour concilier les intérêts de chacun, il reste encore certaines zones d’ombres en matière de saisie-contrefaçon. En particulier, l’absence d’harmonisation entre le droit d’auteur et les droits de propriété industrielle, tant à propos de la possibilité de saisir à des fins conservatoires l’intégralité des stocks lors de la saisie-contrefaçon, que de la sanction du délai d’assignation, nous semble créer une injustice, qu’il serait bon de lever. Rendez-vous dans deux ans pour vérifier ce point.

Benjamin May, avocat associé, Aramis société d’avocats
Marie Liens, avocat counsel, Aramis société d’avocats

[1]  Pourvoi n°07-14457.
[2]  Pourvoi n°G 07-14709.
[3]  Pourvoi n°09-80599.
[4]  RG n°06-18430. Voir également un arrêt du même jour de la Cour d’appel de Paris, RG n°06/2045 B.
[5]  PIBD n°909 III p7.
[6]  PIBD n°892 III p878.
[7]  RG n°07-09844.
[8]  Cour d’appel de Paris du 9 novembre 2007, PIBD n°868 III p127.
[9]  PIBD n°909 III p29.
[10]  RG n°08-03706.
[11]  PIBD n°904 III p1389.
[12]  PIBD n°885 III p645.
[13]  PIBD n°868 III p127.
[14]  PIBD n°885 III p645.
[15]  PIBD n°894 III p951.
[16]  PIBD n°897 III p1110.
[17]  PIBD n°868 III p119.
[18]  RG n°08/03556.
[19]  Pourvoi n°08-10656.
[20]  Pourvoi n°08-18598.
[21]  Pourvoi n°08-20486
[22]  PIBD n°868 III p105.
[23]  Pourvoi n°08-11235.
[24]  PIBD n°900 p1205.
[25]  PIBD n°909 III p14.
[26]  Pourvoi n°07-15075.
[27]  PIBD n°900 III p1205.
[28]  PIBD n°892 III p878
[29]  PIBD n°883 III p591.
[30]  RG n°06/20458.
[31]  Cet alinéa dispose en effet que : « Les États membres veillent à ce que les mesures de conservation des preuves soient abrogées ou cessent de produire leurs effets d’une autre manière, à la demande du défendeur, sans préjudice des dommages-intérêts qui peuvent être réclamés, si le demandeur n’a pas engagé, dans un délai raisonnable, d’action conduisant à une décision au fond devant l’autorité judiciaire compétente, délai qui sera déterminé par l’autorité judiciaire ordonnant les mesures lorsque la législation de l’État membre le permet ou, en l’absence d’une telle détermination, dans un délai ne dépassant pas vingt jours ouvrables ou trente et un jours civils si ce délai est plus long ».
[32]  PIBD n°872 III p239.
[33]  Ord. du juge de la mise en état, TGI Paris 3ème ch. 3ème sect., PIBD n°902 p1327.
[34]  Pourvoi n°F05-19782.
[35]  PIBD n°901 III p1269.
[36]  PIBD n°885 III p645.
[37]  Ord. du juge de la mise en état, TGI Paris 3ème ch. 3ème sect., PIBD n°902 p1327.
[38]  RG n°07/08470.
[39]  Pourvoi n°98-19503.
[40]  A ce sujet, voir l’article « Quelle qualification pour le moyen de nullité de la saisie-contrefaçon ? » de N. Bouché, Propriété Industrielle février 2010, étude 3.
[41]  Pourvoi n°08-18732.
[42]  Pourvoi n°08-12139.
[43]  Pourvoi n°07-15075.
[44]  N°JurisData : 2008-370800.
[45]  RG n° 05/01603.
[46]  RG n°08/02310.