Rupture brutale de relations commerciales

On dit souvent qu’il est difficile en France d’obtenir des dommages-intérêts importants et qu’un procès est donc rarement ?rentable?. L’application de l’article L. 442-6 5° du code de commerce, qui sanctionne le déréférencement ou ?rupture brutale de relations commerciales établies?, semble déroger à cette règle.En effet, comme le montre une jurisprudence de plus en plus abondante, cette disposition peut conduire à une condamnation de l’auteur de la rupture à des dommages-intérêts substantiels.

Cette disposition doit conduire les entreprises a vérifier, avant de rompre des relations commerciales bien établies, si cette rupture s’accompagne d’un préavis écrit suffisant, à moins que la rupture soit justifiée par une faute contractuelle.

1- Sous quelles conditions la rupture peut-elle être sanctionnée ?

L’article L. 442-6 5° sanctionne le fait ?de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accord interprofessionnels.?

Il convient tout d’abord de préciser que, si cette disposition a avant tout été prévue pour le secteur de la distribution, la généralité de ses termes permet son application à tous types de rapports commerciaux. La ?rupture? peut résulter avant tout d’une résiliation du contrat. Cependant, le texte lui-même prévoit qu’une rupture même partielle peut satisfaire aux conditions de l’article L.442-6 5° (par exemple le déréférencement par un distributeur d’un seul produit mais non de l’ensemble de la gamme du fournisseur). La jurisprudence a étendu cette notion à la seule diminution des commandes (CA Lyon, 15 mars 2002) – considérant en quelque sorte qu’il serait trop facile de se contenter de tarir les commandes pour éviter qu’une résiliation pure et simple soit considérée comme brutale.

Le caractère ?brutal? de la rupture résulte de l’absence de préavis écrit d’une durée suffisante – et ce quel que soit le préavis éventuellement prévu dans le contrat. Toute la question est de savoir quelle doit être la durée de ce préavis. Or, c’est la jurisprudence qui fixe cette durée au cas par cas, en fonction de la durée de la relation contractuelle concernée (plus le contrat a duré, plus le préavis doit être long) et – s’il en existe – des usages et accords inter-professionnels. On trouve ainsi des décisions de justice fixant la durée du préavis de un mois à plus d’un an !

En réalité, cette jurisprudence relativement abondante a créé une obligation pour toute entreprise de respecter un préavis raisonnable (dont la durée est difficile à apprécier) avant toute résiliation d’un contrat. Naturellement, lorsque la rupture est motivée par une faute contractuelle de l’autre partie, le préavis écrit n’est pas nécessaire (sauf s’il est prévu par le contrat).

2- Le risque: la condamnation à des dommages-intérêts substantiels

Les dommages-intérêts qui peuvent être réclamés en cas de rupture des relations commerciales peuvent s’avérer substantiels dans la mesure où ils visent à réparer plusieurs types de préjudices possibles, et en particulier:

– perte de marge/chiffre d’affaires: la partie qui se plaint de la rupture peut demander la réparation du préjudice résultant de la perte de sa marge sur le contrat concerné pendant la période du préavis qui aurait dû lui être accordé. Certaines décisions se fondent sur le chiffre d’affaires et non sur la marge – ce qui peut paraître justifié si l’entreprise continue à supporter des coûts inhérents à l’exécution du contrat.

– coûts de la rupture: la partie qui se plaint de la rupture peut demander le remboursement des coûts supportés en raison de la brutalité de la rupture contractuelle (par exemple le surcoût d’une solution de remplacement mise en place en urgence). Il ne paraît toutefois pas justifié de demander la réparation du préjudice qui résulterait non pas de la brutalité de la rupture, mais simplement de la rupture elle-même (par exemple investissements fondés sur une durée contractuelle plus longue), puisque seule l’absence de préavis est sanctionnée.

– préjudice d’image: la partie qui se plaint de la rupture sans préavis peut démontrer que celle-ci a causé une atteinte à son image et la défiance d’autres partenaires économiques.