Lutte contre le blanchiment : les décrets changent la donne des cartes prépayées !

Deux textes réglementaires précisant les obligations des établissements assujettis au titre de l’identification de leurs clients, pris pour l’application de l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 transposant la troisième directive anti-blanchiment, ont été publiés au journal officiel du 4 septembre 2009 :

– Le décret n° 2009-1087 du 2 septembre 2009 relatif aux obligations de vigilance et de déclaration pour la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, et

– L’arrêté du ministre de l’économie de la même date pris pour l’application de l’article R. 561-12 du code monétaire et financier (CMF).

Les grandes lignes de ces textes et leurs principaux impacts pratiques sont présentés ci-dessous.

– Monnaie électronique : relèvement des seuils d’émission des instruments anonymes

Un impact majeur sur l’émission de cartes prépayées anonymes en France

Le décret impacte fortement le cadre juridique de la monnaie électronique puisqu’il prévoit des limitations de chargement de 250 ou 2.500 euros, applicables aux cartes prépayées anonymes, et y soumet l’ensemble des émetteurs, qu’ils soient agréés en France ou en EEE, ou encore exemptés.

Ces nouveaux seuils semblent rendre caduque la limitation actuelle de chargement des cartes prépayées anonymes fixées à 150 euros par le Règlement 2002-13 sur la monnaie électronique.

Il convient d’être prudent sur cette interprétation, car le Décret 2009-1087 du 2 septembre 2009 n’abroge ou ne modifie pas formellement le Règlement 2002-13 sur la monnaie électronique. Il est permis de se demander si la limite d’usage des cartes anonymes prépayées, fixée à 30 euros par le Règlement 2002-13, n’est pas elle aussi devenue caduque du fait de l’adoption du Décret 2009-1087.

D’après nos informations, la Banque de France devrait clarifier cette question prochainement.

Seuils de chargement de 250 et 2.500 ?. L’article R. 561-16 du CMF dispense les assujettis du respect des obligations de vigilance « lorsque l’opération porte sur (?) la monnaie électronique », si le support est non rechargeable et a une capacité maximale de chargement de 250 euros ou si le support est rechargeable et a une capacité maximale d’utilisation de 2.500 euros sur une année civile.

Le législateur français semble ainsi avoir « transposé par avance » la future directive révisée sur la monnaie électronique dans sa version adoptée par le Parlement le 24 avril 2009, qui relève le seuil des instruments anonymes non rechargeables, actuellement prévu par la 3e directive anti-blanchiment, de 150 à 250 euros. Selon la Commission européenne, la nouvelle directive pourrait être publiée fin octobre 2009.

Cas des remboursements. En cas de demande de remboursement, l’identité du demandeur ne serait plus demandée que lorsque la somme remboursée est supérieure à 2.500 euros sur une année civile ? contre un seuil de 30 euros, dans certains cas, selon le Règlement monnaie électronique. Ici, le droit français deviendrait plus souple que le droit communautaire, qui a fixé le seuil à 1.000 euros.

Champ d’application élargi aux émetteurs exemptés. Contrairement au Règlement n° 2002-13 monnaie électronique monnaie électronique, qui s’applique exclusivement aux émetteurs agréés en France, l’article R. 561-16 a, selon nous, vocation à s’appliquer à la fois aux émetteurs agréés en France ou dans l’espace économique européen (EEE), aux émetteurs exemptés sur le fondement de l’article L. 511-7, II du CMF, ainsi qu’aux autres assujettis intervenant dans la commercialisation de la monnaie électronique comme les établissements de paiement. Le paysage concurrentiel français serait ainsi aplani.

Reste à savoir cependant comment le régulateur appliquera ces nouvelles règles aux différents émetteurs ? en particulier, aux émetteurs exemptés actuellement soumis à une limitation générale de chargement de 150 euros, conformément à la Directive monnaie électronique 2000/46/CE ou encore aux émetteurs agréés en EEE, déjà soumis à des obligations de lutte anti-blanchiment dans leur pays d’agrément.

Articulation avec le Règlement Monnaie électronique. Le décret étant une norme supérieure au Règlement monnaie électronique ? qui a valeur d’arrêté ministériel ? il devrait rendre caduques les limitations de chargement et d’usage des instruments anonymes, prévues au dit Règlement. Toutefois, ce dernier n’a été ni abrogé ni modifié pour le moment. L’évolution de ce texte doit donc être suivie avec attention.

Contrôle résiduel. Les assujettis ne sont pas dispensés de tout contrôle puisqu’ils doivent vérifier qu’il « n’existe pas de soupçons de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme » (article R. 561-16). Ils doivent en outre recueillir « des informations suffisantes pour établir si le client ou le produit remplit les conditions requises pour bénéficier de ces dérogations » (article R. 561-17).

– Quelles informations recueillir ?

Une connaissance approfondie des clients. Les assujettis ne semblent plus tenus de conserver une copie de la pièce d’identité du client ; le client doit présenter une pièce d’identité et l’assujetti en relève les mentions (article R. 561-5). La conservation d’une copie du registre officiel reste nécessaire pour les clients personnes morales.

Des contrôles complémentaires doivent être menés en cas de relation à distance : pièce d’identité supplémentaire (personnes physiques), vérification et certification du registre officiel (personnes morales), paiement effectué à partir d’un compte ouvert auprès d’un autre assujetti, etc.

De plus, les assujettis doivent prendre d’autres renseignements sur la situation professionnelle, patrimoniale, etc. des clients. L’arrêté du 2 septembre 2009 précise la nature des informations que les assujettis doivent recueillir : situation professionnelle, patrimoniale, etc. des clients personnes physiques et statuts, pouvoirs, etc. pour les personnes morales.

S’informer sur les opérations envisagées. Les assujettis doivent s’informer sur les opérations projetées par leurs clients. A ce titre, ils doivent, selon leur appréciation, recueillir des informations telles que le montant et la nature des opérations envisagées, la provenance et la destination des fonds, la justification économique de l’opération, etc. (arrêté du 2 septembre 2009).

Une connaissance actualisée. Les assujettis doivent mettre à jour les données d’identification de leurs clients lorsqu’ils « ont de bonnes raisons de penser que [ces données] ne sont plus exact[e]s ou pertinent[e]s » (article R. 561-11). Ils doivent assurer une « surveillance adaptée » afin de garder « une connaissance adéquate » des clients (article R. 561-12).

Vigilance étendue. Le décret précise les situations dans lesquelles des mesures d’identification doivent être complétées ou renforcées : relations à distance (cf. ci-dessus) ; clients qui sont des personnes « exposées à des risques particuliers », l’article R. 561-18 fournissant une typologie de ces personnes ; certaines activités telle que celle de correspondant bancaire, etc. (articles R. 561-18 à R. 561-22).

– L’identification du client occasionnel

Relèvement du seuil. La définition du client occasionnel ne change pas : le client occasionnel est celui qui souhaite effectuer « une opération ponctuelle » (article R. 561-10 du CMF). En revanche, le montant maximal de l’opération au-delà duquel son identité doit être contrôlée est relevé de 8.000 à 15.000 euros (sauf exceptions, notamment en cas de transfert de fonds ou de service de garde des avoirs). Le contrôle reste impératif en présence d’une opération suspecte.

– La mise en oeuvre

Contrôle interne. L’article R. 561-38 précise les éléments à intégrer dans les procédures de contrôle interne, telle une classification des risques des activités, en fonction de leur exposition ou encore une détermination du profil de la relation d’affaires, permettant de détecter les anomalies, la mise en place de procéduresspécifiques de traitement des informations pour détecter les risques et les anomalies, etc.

Ces éléments doivent être précisés par arrêté.

Interlocuteurs dédiés. Les assujettis sont tenus de désigner un interlocuteur unique chargé des relations avec TRACFIN et son autorité de tutelle pour les sujets de lutte contre le blanchiment (article 561-23).

Déclaration de soupçon. Le décret précise le contenu et les modalités de transmission des déclarations de soupçon (articles R. 561-31 et R. 561-2).

– La question des jeux en ligne

Un projet de loi est actuellement entre les mains du Parlement pour réglementer l’ouverture à la concurrence du secteur des jeux en ligne. L’article 12 de ce projet de loi prévoit que les moyens de paiement, utilisés par les joueurs pour payer leurs mises et recevoir leurs gains, devraient être « identifiés ». L’exposé des motifs précise que les moyens de paiement utilisés ne devront pas « être anonymisants ».

Les fournisseurs de solutions de paiement devront veiller à disposer de procédures fiables d’identification des clients pour être admises sur le marché prometteur des jeux en ligne. Et ce, d’autant plus que le rapporteur du projet de loi semble assimiler les moyens de paiement en ligne à des moyens de paiement anonymes (cf. rapport n° 1860 du 22 juillet 2009). Ce projet sera débattu à l’assemblée nationale dans les semaines à venir.