Clauses du client le plus favorisé : interdiction et voies de contournement

En temps de crise, le recours aux clauses du client le plus favorisé est devenu de plus en plus fréquent, généralement sous l’impulsion des directions des achats. Ces clauses permettent à un client d’obtenir de manière automatique le bénéfice de tarifs plus avantageux consentis à d’autres clients par le même fournisseur. Elles posent un certain nombre de questions juridiques, dans la mesure où elles peuvent être interdites en droit français comme en droit européen. Se pose également, en pratique, la question des voies de contournement de ces clauses, qui peuvent impacter leur rédaction.

1. Interdiction des clauses du client le plus favorisé.

Classiquement, les clauses du client le plus favorisé peuvent relever de l’interdiction des accords anti-concurrentiels, interdits par l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (« TUE ») et de l’article L. 420-1 du code de commerce. Elles peuvent également constituer un abus de position dominante, si l’entreprise qui en bénéficie est dominante sur le ou les marchés concernés, et donc être interdite par les articles 102 du TUE et L. 420-2 du code de commerce.

En effet, ce type de clause peut avoir deux effets négatifs sur le plan de la concurrence. D’une part, elles n’incitent pas les fournisseurs à baisser leurs prix, puisque de telles baisses auraient mécaniquement un effet décuplé en s’étendant à d’autres clients. Il peut d’ailleurs en résulter une certaine uniformisation des prix. D’autre part, l’application de la clause peut donner au client qui en bénéficie une précieuse information sur le niveau de prix dont bénéficient ses concurrents.

Cependant, comme toujours en droit de la concurrence, l’interdiction n’est pas systématique et il faut apprécier au cas par cas si la clause peut avoir un effet négatif sensible sur les marchés concernés. Ceci explique peut-être pourquoi il n’existe que peu de décisions des autorités de la concurrence françaises et européennes en la matière (Lignes directrices de la Commission, JO du19 mai 2010, paragraphe 129; Décision de la Commission Kemi / DDSF, JO 79 L286/32 ; Décision de la CJUE, Hoffmann-Laroche, aff. C-85/76; Avis du conseil de la concurrence du 25 juin 1981, BOSP du 12 décembre 1981). Parmi les critères pouvant servir à l’analyse concurrentielle : la part de marché des parties à l’accord, le nombre d’accords contenant des clauses similaires (effet dit « de réseau »), le caractère concentré ou non du marché, l’étendue de la clause (automaticité de l’ajustement tarifaire, droit de résiliation, etc.). En outre, le règlement d’exemption européen en matière de restrictions verticales peut permettre de valider la clause du client le plus favorisé si les conditions de l’exemption sont remplies (en particulier si le seuil de parts de marché de 30% prévu par ce règlement n’est pas franchi).

Cette difficulté d’application du droit de la concurrence aux clauses du client le plus favorisé, ainsi que l’incertitude qui en résulte, se distingue de l’interdiction très claire édictée par l’article L. 442-6 II d) du code de commerce, qui déclare nulles les clauses permettant « de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant ». Cette interdiction spécifiquement française, qui ne relève pas du droit de la concurrence stricto sensu, ne semble pas sujette à interprétation. La nullité découle automatiquement de la rédaction de la clause et ne devrait pas dépendre d’une analyse de ses effets sur le marché. On relèvera toutefois que (1) l’interdiction ne concerne que les clauses entraînant un ajustement tarifaire « automatique » (donc a priori pas une clause permettant la résiliation du contrat) et que (2) l’interdiction suppose que l’ajustement se fasse au niveau des prix d’un concurrent du client – et non, par exemple, au niveau d’un panier moyen d’acheteurs qui ne sont pas nécessairement des concurrents du client.

2. Application de l’interdiction dans le contexte d’un contrat international

L’interdiction édictée, en droit français, par l’article L. 442-6 II d) du code de commerce pose la question de son application dans un contexte international. En effet, selon que l’on se place du point de vue du client ou du fournisseur, il peut exister un intérêt à ne pas soumettre le contrat au droit français ou, précisément, à le soumettre au droit français en raison de l’existence de cette interdiction.

Si la loi du contrat est le droit français, l’application de l’article L. 442-6 II d) du code de commerce fait peu de doutes. Si en revanche la loi applicable au contrat n’est pas la loi française, on peut se demander si l’interdiction française pourrait constituer une loi de police, c’est-à-dire une règle applicable en toute hypothèse quelle que soit la loi du contrat. Une telle loi de police est d’ailleurs susceptible d’être mise en ?uvre par un juge étranger ou un arbitre.

Nous n’avons pas connaissance d’une réponse jurisprudentielle à cette question en ce qui concerne précisément l’interdiction des clauses du client le plus favorisé. Cependant, il existe de la jurisprudence très récente relative à la qualification de loi de police d’autres interdictions édictées par le même article du code de commerce (Cour de cassation, 12 juillet 2011, n° 11-40.029 ; CA Paris, 6 juin 2011, n°09/28449 ; CA Paris, 24 mars 2011, n° 07/07337 ; CA Nimes 10 mars 2011, n°08/04995). A tout le moins, la qualification de loi de police paraît donc susceptible de constituer une possibilité sérieuse.

3. Les « marges arrière » comme voie de contournement

Le contournement des objectifs d’une clause contractuelle est toujours possible, selon la façon dont la clause est rédigée. Dans la mesure où la clause du client le plus favorisé aboutit à une sorte de principe de non-discrimination imposé au fournisseur, on peut penser que la même méthode que celle habituellement employée pour contourner l’ancienne interdiction de discrimination du code de commerce pourrait s’appliquer efficacement ici : en prévoyant une rémunération de services distincts, qui seraient rendus par les clients favorisés et rémunérés comme tels, le fournisseur peut s’affranchir de la clause en générant pour les clients favorisés une forme de « marge arrière ».

Par exemple, on peut imaginer des services de stockage ou de logistique, ou encore d’information et de conseil sur l’usage des produits concernés. S’il s’agit de véritables services distincts de l’acte d’achat-vente principal, ils seront facturés par le client au fournisseur, ce qui les rendra difficilement « traçables » par le bénéficiaire de la clause du client le plus favorisé en cas de conflit.

Selon que l’on se place du côté du fournisseur ou du client, cette possibilité, qui a connu un important succès dans le secteur de la grande distribution, devrait être prise en compte dans la rédaction de la clause, soit pour l’exclure, soit pour faire en sorte que la clause n’y fasse pas obstacle.