Abus de position dominante – notions générales

L’article L.420-2 du code de commerce dispose : « est prohibée, dans les conditions prévues à l’article L.420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ». On abordera ci-après les notions de marché pertinent et de position dominante, avant de présenter les différents types de pratiques qualifiées d’abusives au sens de l’article L.420-2 du code de commerce.

Classiquement, l’analyse d’un comportement susceptible de constituer un abus de position dominante se fait en trois étapes: il faut tout d’abord définir le marché pertinent, déterminer si l’auteur des pratiques détient une position dominante sur ledit marché et enfin vérifier si la pratique en cause est susceptible d’être abusive.

Définition du marché

La définition du ou des marchés pertinents est essentielle pour déterminer l’existence d’un abus de position dominante. En effet, la détention du pouvoir de marché conférant une position dominante s’apprécie nécessairement sur un marché délimité avec précision. La définition suivante du marché pertinent avait été donnée dans le rapport annuel du Conseil de la concurrence pour l’année 2000 : « Le marché, au sens où l’entend le droit de la concurrence, est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l’offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. En théorie, sur un marché, les unités offertes sont parfaitement substituables pour les consommateurs qui peuvent ainsi arbitrer entre les offreurs lorsqu’il y en a plusieurs, ce qui implique que chaque offreur est soumis à la concurrence par les prix des autres. A l’inverse, un offreur sur un marché n’est pas directement contraint par les stratégies de prix des offreurs sur des marchés différents, parce que ces derniers commercialisent des produits ou des services qui ne répondent pas à la même demande et qui ne constituent donc pas, pour les consommateurs, des produits substituables. Une substituabilité parfaite entre produits ou services s’observant rarement, le Conseil regarde comme substituables et comme se trouvant sur un même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande. Parmi les éléments pris en compte pour définir les contours d’un marché pertinent, il y a lieu, notamment, de retenir la nature du produit ou du service, l’environnement juridique, les conditions techniques d’utilisation, le coût d’usage ou de mise à disposition et la stratégie des offreurs, ainsi que le comportement des demandeurs » [Rapport annuel du Conseil de la Concurrence pour 2000, page 107. Ce passage est repris explicitement par plusieurs décisions, par exemple : Décision n°04-D-66 du 1er décembre 2004, Décision n°04-D-28 du 2 juillet 2004, Décision n°07-D-12 du 28 mars 2007]. Un marché comporte typiquement deux faces : il est à la fois un marché de la vente, mais aussi un marché de l’achat, selon que l’on se place du point de vue de l’offre ou du point de vue de la demande. Ainsi, une entreprise peut être dominante en tant que vendeur, mais aussi en tant qu’acheteur de biens ou services [Décision n°07-D-44 du 11 décembre 2007]. Classiquement, la définition du marché est réalisée en deux étapes, en distinguant tout d’abord le ou les marchés de produits ou services pertinents, puis en définissant la ou les dimensions géographiques du ou des marchés ainsi délimités. Dès lors que la définition des marchés pertinents peut varier au fil du temps, le périmètre des marchés est apprécié en se plaçant au moment où a été commise la pratique abusive [Décision n°04-D-48 du 14 octobre 2004].

Marché de produits et services

Méthodologie. La définition du marché de produits ou services pertinent revient généralement à tenter de regrouper tout d’abord au sein d’un même marché des produits ou services similaires. On exclut ensuite de ce marché les produits ou services qui ne répondent pas à la même demande des acheteurs et on y inclut les produits ou services qui, sans être similaires, répondent à la même demande. Enfin, certains facteurs spécifiques, comme les barrières à l’entrée techniques ou juridiques, peuvent conduire à caractériser un marché qui se distingue des autres. Il est à noter que les définitions de marché adoptées par les autorités de la concurrence en matière de contrôle des concentrations ne devraient pas systématiquement être reprises en l’état pour l’application de l’article L.420-2 du code de commerce, dès lors que « les analyses de marché en matière de contrôle des concentrations revêtent nécessairement un caractère prospectif, alors qu’en matière de pratiques anti-concurrentielles, elles s’attachent à décrire un marché contemporain des pratiques » [Décision n°07-D-09 du 14 mars 2007,].

Méthode du SSNIP. L’un des tests employés par les économistes pour vérifier la substituabilité de produits ou services consiste à s’interroger sur la réaction des acheteurs en cas de hausse significative et non transitoire du prix d’un des deux produits ou services considérés : si ceux-ci se reportent vers l’autre produit ou service (et pareillement lorsque la hausse de prix concerne l’autre produit ou service), les deux produits ou services pourraient être considérés comme substituables [Cette méthode, connue sous le nom de ?SSNIP test? (« small but significant non transitory increase in price ») ou test de l’élasticité croisée, a notamment été décrite par le Conseil de la Concurrence dans son rapport annuel pour 2001. Le taux d’augmentation des prix généralement considéré comme pertinent se situe dans une fourchette de 5 à 10% et la durée de cette augmentation est généralement de un an]. Ce type d’analyse économique s’intègre dans le faisceau d’indices qui permet de définir le marché, sans être décisif et sans nécessairement se substituer à une analyse plus classique [Voir notamment : Décision n°00-D-67 du 13 février 2001, Décision n°99-D-45 du 30 juin 1999,. Pour des exemples d’application de ce test, voir la décision n°04-D-13 du 8 avril 2004, et la décision n°05-D-11 du 16 mars 2005].

Produits ou services aux mêmes caractéristiques. Des produits similaires par leurs caractéristiques intrinsèques et leurs prix sont susceptibles de répondre à une même demande des acheteurs. La similitude des caractéristiques constitue donc un premier indice d’appartenance à un même marché. On relèvera par exemple les développements très détaillés sur ce point dans une décision de 1999, pour définir un marché des poupées mannequins: « il est constant que les poupées-mannequins présentent des caractéristiques spécifiques leur conférant une allure typique ; qu’en effet, à la différence des autres jouets anthropomorphes, elles se présentent le plus souvent sous l’apparence physique d’une femme adulte caractérisée par une tête placée sur un cou long, une abondante chevelure, des yeux bien dessinés et une poitrine développée ; qu’elles sont, généralement, présentées avec un univers, c’est-à-dire d’une gamme de produits qui leur sont complémentaires tels que vêtements, accessoires et meubles (maison, boudoir, coiffeuse, canapé, piscine, voiture) ainsi que d’un entourage d’autres poupées qui tiennent le rôle d’amie, de sœur ou de compagnon ; que la réunion de ces caractéristiques les distingue des autres jouets anthropomorphes tels que les poupées-poupons et les poupées miniatures qui se présentent sous la forme d’un enfant (jeune enfant, bébé ou nourrisson), et a fortiori des peluches, jeux artistiques et autres jouets pour filles » [Décision n°99-D-45 du 30 juin 1999]. A l’inverse, la différence de caractéristiques intrinsèques entre plusieurs produits ou services peut constituer un indice d’appartenance à des marchés distincts. Deux décisions ont par exemple distingué le Cantal et le Roquefort des autres types de fromages, en raison de la spécificité de leurs caractéristiques gustatives [Décision n°92-D-30 du 28 avril 1992]. Il en va de même en matière de différences de prix : « un écart de prix substantiel durable entre produits est un indice de non substituabilité entre ces derniers et donc de non appartenance au même marché » [Rapport annuel du Conseil de la concurrence pour 2001, page 98. Voir par exemple la décision n°08-D-05 du 27 mars 2008,].

Perception des consommateurs. Des produits similaires peuvent ne pas appartenir au même marché parce qu’ils sont perçus comme différents par les acheteurs. Par exemple, on a pu définir un marché de la mélasse issue de la canne à sucre cultivée à la Réunion et un marché de l’alcool fabriqué à partir de cette mélasse, compte tenu des préférences des consommateurs locaux pour les produits locaux, alors même que la mélasse de canne à sucre fait l’objet d’un commerce international important et que d’autres produits intermédiaires peuvent être utilisés pour fabriquer des punchs ou des liqueurs à la Réunion [Décision n°01-D-70 du 24 octobre 2001]. De même, a été distingué, parmi les différents désherbants offerts aux particuliers, le chlorate de soude comme constituant un marché distinct en raison de la demande spécifique des consommateurs : « même en admettant que les fonctions intrinsèques du chlorate de soude ne soient pas objectivement très différentes de celles des autres désherbants et que son coût d’usage ne constitue pas, pour un certain nombre d’utilisations, un avantage décisif, il est constant que les consommateurs, dans leur majorité, considèrent, comme le soulignent les nombreux distributeurs, que le chlorate de soude n’est pas substituable aux autres désherbants totaux ; que la demande exprimée ne peut donc être satisfaite que par le chlorate de soude » [Décision n°2000-D-85 du 20 mars 2001]. Enfin, on relèvera une décision qui va très loin dans la définition de marchés étroits au sein du secteur des livres, en définissant des marchés restreints « aux monographies grand public de sites ou monuments servant indifféremment de guide de visite ou de souvenir, mêlant texte et photographies, à prix accessible (inférieur à 10 euros) et propre à chaque site ou monument concerné », à savoir l’Abbaye de Cluny, le Mont Saint Michel et la ville de Carcassonne [Décision n°08-D-08 du 29 avril 2008].

Produits haut de gamme / bas de gamme. Le même type de raisonnement permet de définir des marchés spécifiques du luxe, en fonction de la perception des consommateurs et du prix des produits. Ainsi, il a pu être considéré que les produits cosmétiques de la société Biotherm n’appartenaient pas au marché des cosmétiques de luxe parce qu’ils n’étaient pas considérés comme tels par les consommateurs et étaient moins chers que les produits de luxe [Décision n°03-D-53 du 26 novembre 2003]. De même on a pu définir des marchés de la porcelaine haut de gamme sur lequel sont présentes certaines marques distinguées par les consommateurs pour leur notoriété et leur prestige [Décision n°99-D-78 du 15 décembre 1999]. Des arguments similaires ont conduit à définir un marché des montres de luxe [Décision n°03-D-60 du 17 décembre 2003]. Dans une décision récente relative au secteur du jouet, les jouets « sans marque » ont été distingués des jouets de marque, parce qu’ils sont moins onéreux, qu’ils figurent rarement dans les catalogues de jouets, qu’ils font l’objet d’une négociation commerciale spécifique, qu’ils ne font pas l’objet de publicité télévisuelle, et qu’ils sont souvent achetés en exclusivité par les distributeurs, contrairement aux produits de marque [Décision n°07-D-50 du 20 décembre 2007].

Demande spécifique des acheteurs. L’existence d’une demande très spécifique pour un produit ou service donné peut conduire à définir un marché étroit. Ainsi, a été défini un marché des boîtiers et correctrices permettant de simuler les conditions de l’examen théorique du permis de conduire, se distinguant du marché plus large de la fourniture aux auto-écoles de matériels pédagogiques destinés aux moniteurs et à leurs élèves, en raison de l’existence d’une demande très spécifique des auto-écoles pour le premier type de produit, liée à la réforme de l’examen théorique du permis de conduire [Décision n°04-D-09 du 31 mars 2004]. De même, pour décider que les tuyaux à gaz flexibles en caoutchouc n’étaient pas substituables aux tuyaux métalliques (plus chers mais plus durables), a été retenue, entre autres critères, la spécificité de la demande de tuyaux en caoutchouc dans le secteur locatif [Décision n°02-D-68 du 14 novembre 2002]. On relèvera enfin que la spécificité de la demande d’une catégorie d’acheteurs peut conduire l’autorité de la concurrence a distinguer les services ou produits offerts aux professionnels et ceux offerts aux particuliers, comme faisant partie de marchés différents [Voir par exemple : Décision 03-D-62 du 18 décembre 2003, Décision n°04-D-48 du 14 octobre 2004, , qui distingue même au sein des clients professionnels les entreprises de taille moyenne et les grands comptes ; Décision n°06-D-22 du 21 juillet 2006, qui distingue le marché du gros et le marché du détail]. En revanche, on peut inclure dans un même marché des produits répondant à une demande différente des acheteurs lorsque l’application du « critère de substituabilité à chaque type de commodités pris individuellement pourrait aboutir à un émiettement excessif du marché » et que les clients s’attendent en réalité à faire un choix dans un assortiment large de produits (on pensera notamment à l’industrie du disque, où chaque artiste ou genre musical ne saurait en principe constituer un marché en soi) [Décision n°06-D-12 du 6 juin 2006].

Environnement économique, technique et juridique. Une analyse de l’environnement économique, technique et juridique dans lequel s’inscrit l’offre et la demande des produits ou services concernés peut conduire à remettre en cause une définition de marché basée uniquement sur les caractéristiques des produits ou services et de la demande. Par exemple, en matière de médicaments, il est tenu compte du fait que le comportement des médecins prescripteurs influence l’offre et la demande sur le marché, ce qui peut conduire à la définition de marchés confinés à une spécialité pharmaceutique [Voir par exemple : Décision n°03-D-35 du 24 juillet 2003]. De même, il a été considéré qu’il existait un marché distinct des lessives à usage professionnel destinées au milieu hospitalier, dès lors que les solutions techniques de nettoyage retenues par les acheteurs de ce secteur ne sont pas les mêmes que celles des hôtels, restaurants et maisons de retraites [Décision n°04-D-28 du 2 juillet 2004]. On citera également le fait que la distribution de carburant sur autoroute a pu être distinguée des autres formes de distribution de carburant, notamment en raison du caractère captif de la clientèle sur autoroute et des contraintes techniques et juridiques particulières entourant leur exploitation [Décision n°03-D-17 du 31 mars 2003]. Ou encore la définition d’un marché de la télévision publique généraliste distinct du marché de la télévision privée généraliste, au motif que les chaînes publiques sont soumises à des contraintes légales pour le choix d’un diffuseur, auxquelles ne sont pas soumises les chaînes privées [Décision n°99-D-14 du 23 février 1999].

Substituabilité au niveau de l’offre. Même si les critères tenant à la substituabilité des produits ou services faisant partie d’un même marché sur le plan de la demande sont prédominants dans la pratique décisionnelle française, il devrait être possible d’élargir un marché en y incluant les offreurs qui sont en mesure d’y intervenir en raison d’une substituabilité au niveau de l’offre. La Cour d’appel de Paris a énoncé ce principe de la manière suivante : « du côté de l’offre, la substitution suppose que les fournisseurs puissent réorienter leur production vers les produits ou services en cause sans coût ou risque insupportable pour se substituer à l’offreur précédent, étant observé que si la substitution nécessite de lourds investissements ou des révisions stratégiques, il n’en est pas tenu compte dans la définition du marché » [Cour d’appel de Paris, Arrêt du 19 mai 1998]. Par exemple, il a pu être considéré que, même si l’équipement informatique lié aux jeux de hasard organisés sous monopole par la Française des Jeux diffère des équipements informatiques classiques, « les activités de maintenance, qui supposent essentiellement, de la part des opérateurs, un savoir-faire et une connaissance des équipements, présentent une fluidité suffisante du côté de l’offre pour qu’un marché de la maintenance informatique au sens large puisse être retenu » [Décision n°00-D-50 du 5 mars 2001]. La substituabilité au niveau de l’offre suppose toutefois que l’on puisse démontrer que de nouvelles entreprises pourront rapidement intégrer le marché concerné en réorientant leurs activités [Décision n°06-D-22 du 21 juillet 2006]. Ce critère reste donc rarement admis pour élargir les marchés, qui restent majoritairement définis sur la base de l’analyse des facteurs de la demande.

Marché ponctuel. Un marché n’a pas nécessairement une existence permanente. Par exemple, l’offre de billets à des tour-opérateurs pour la coupe du monde de football de 1998 a pu être considérée comme un marché spécifique [Décision n°00-D-83 du 13 février 2001]. De même, plusieurs décisions on considéré qu’un appel d’offre dans le cadre d’un marché public pouvait constituer un marché pertinent, sur lequel se rencontrent une demande et une offre spécifiques [Décision n°03-D-61 du 17 décembre 2003]. On peut toutefois s’interroger sur la portée de cette pratique décisionnelle, qui repose notamment sur une jurisprudence de la Cour d’appel de Paris de 2000 en matière de pratiques d’ententes et non d’abus de position dominante [Cour d’appel de Paris, arrêt du 12 décembre 2000]. En effet, dans d’autres décisions, une définition plus large du marché a été adoptée pour apprécier l’existence ou non d’une position dominante : « s’il résulte bien de la jurisprudence que le croisement d’un appel d’offres et la réponse des candidats constitue un marché, il convient (?) pour déterminer si une entreprise détient une position dominante (?) d’examiner non le marché particulier résultant du croisement d’un appel d’offres et des soumissions qui ont été déposées en réponse, mais le marché plus général où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à l’appel d’offres concerné » [Décision n°01-D-46 du 23 juillet 2001]. Pour autant, dans une décision récente de 2008, il a été décidé que « de manière générale, la jurisprudence considère qu’un appel d’offres pour la fourniture d’un bien ou d’un service constitue un marché pertinent au sens du droit de la concurrence : le demandeur est l’organisateur de l’appel d’offres et les offreurs en compétition sur ce marché sont les opérateurs susceptibles d’y répondre » [Décision n°08-D-05 du 27 mars 2008,. Il a néanmoins été précisé dans cette décision que l’autorité de la concurrence peut « apprécier le pouvoir de marché d’un offreur en évaluant sa position par agrégation de l’ensemble des marchés instantanés sur lesquels les conditions de concurrence sont équivalentes ». Voir aussi : Décision n° 08-D-22 du 9 octobre 2008].

Marchés à différents stades de la chaîne économique. Si la plupart des marchés sont des marchés de la commercialisation de produits ou services, on peut également définir et apprécier la position d’une entreprise sur un marché dit « de l’approvisionnement » (qui correspond naturellement, du point de vue des offreurs, à un marché de la commercialisation) [Décision n°03-D-11 du 21 février 2003]. Sur de tels marchés, les demandeurs sont des intermédiaires, grossistes ou détaillants. Une chaîne économique donnée peut en effet impliquer plusieurs marchés pertinents sur lesquels interviennent plusieurs acteurs successifs. Ainsi, le secteur des médicaments comprend, outre les marchés de la vente au détail de divers médicaments, un marché de l’approvisionnement des grossistes pour l’ensemble de la gamme de médicaments de chaque laboratoire et un marché des services d’approvisionnement des pharmacies par les grossistes [Décision n°07-D-22 du 5 juillet 2007]. De même, de façon assez classique, il est possible pour de mêmes produits de définir les marchés sur lesquels agissent les fabricants et ceux sur lesquels les produits sont revendus par les distributeurs [Par exemple : décision n°07-D-50 du 20 décembre 2007]. D’une manière plus générale, il est considéré que « lorsqu’il est démontré que le consommateur final a systématiquement recours à des distributeurs intermédiaires, il est pertinent de distinguer le marché amont de l’approvisionnement du marché aval de la distribution de ces produits » [Décision n°08-MC-0l du 17 Décembre 2008].

Marché géographique

Principe. Le marché géographique « comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l’offre de biens et services en cause et sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes. Il ne comprend pas les zones géographiques voisines dès lors que les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable » [Décision n°04-MC-02 du 9 décembre 2004]. Une définition plus précise de cette notion a été donnée dans une décision de 2006 : « la délimitation d’un marché de produit s’entend sur une zone géographique définie, soit parce que l’analyse faite du comportement de la demande n’est valable que sur cette zone géographique, soit parce qu’il s’agit de la zone géographique à l’intérieur de laquelle les demandeurs se procurent ou peuvent se procurer le produit ou service en question. Il s’agit de la zone géographique sur laquelle un pouvoir de monopole pourrait effectivement être exercé, sans être exposé à la concurrence d’autres offreurs situés dans d’autres zones géographiques ou à celle d’autres biens ou services. Un marché géographique pertinent comprend, dès lors, le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l’offre de biens et services en cause et sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et ne comprend pas les zones géographiques voisines dès lors que les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable » [Décision n°06-D-18 du 28 juin 2006]. Comme pour la définition du marché de produits ou de services, la définition du marché géographique peut reposer sur la conjonction de plusieurs critères. Par ailleurs, il faut relever que le marché géographique pertinent peut très bien s’étendre au-delà des frontières du territoire national, même si le droit de la concurrence n’a vocation à s’appliquer qu’en raison des effets de la pratique considérée en France [Décision n°02-D-35 du 13 juin 2002].

Caractéristiques du produit ou service. Les caractéristiques intrinsèques du produit ou service peuvent servir de critère pour délimiter le marché géographique. L’un des critères les plus fréquemment utilisés pour certains produits est celui des coûts de transport : « la distance entre l’unité de production et le lieu de livraison est un facteur décisif de délimitation du marché géographique des produits pondéreux de faible valeur unitaire dès lors que le demandeur ne peut s’adresser à un offreur trop éloigné sous peine d’être obligé de payer un prix de transport prohibitif » [Décision n°03-D-12 du 3 mars 2003]. Ce critère, lorsqu’il est pertinent, peut amener à définir un marché circonscrit à une zone d’un certain nombre de kilomètres autour des unités de production [Voir par exemple la décision n°94-D-30 du 24 mai 1994]. Cependant, même dans une telle hypothèse, on peut considérer que le marché pertinent comporte l’ensemble des zones situées autour des sites de production, lorsque la pratique concerne l’ensemble ou plusieurs de ces zones [Décision n°00-D-14 du 3 mai 2000,].

Spécificité de la demande. La spécificité de la demande sur une zone géographique donnée peut conduire à délimiter le marché géographique à cette zone. Par exemple, en matière de transport de passagers, on considèrera généralement que chaque itinéraire entre une zone de départ et une zone d’arrivée données constitue, du point de vue du consommateur, un marché en soi [Décision n°04-D-79 du 23 décembre 2004]. Par ailleurs, pour les activités de vente au détail, le marché géographique pertinent est généralement circonscrit à la zone de chalandise du point de vente, qui peut être déterminée notamment à partir de la distance que les consommateurs sont prêts à parcourir pour acheter le produit ou service concerné [Décision n°01-D-12 du 12 avril 2001]. La spécificité de la demande peut également tenir à des préférences de consommation ou d’achat locales. Par exemple, il a été considéré que les conditions d’utilisation de la brique en alsace étaient suffisamment spécifiques pour définir un marché distinct circoncis à l’alsace [Décision n°90-D-27 du 11 septembre 1990]. De façon plus anecdotique on citera une décision restreignant la dimension géographique d’un marché de services de cantine pénitentiaire à l’établissement pénitencier concerné, dans la mesure où les détenus ne peuvent s’approvisionner à l’extérieur de celui-ci [Décision n°00-D-27 du 13 juin 2000]. Enfin, en matière de services de pompes funèbres, il a été constaté que les familles faisaient essentiellement le choix, pour l’organisation de funérailles, à des entreprises locales, de sorte que le marché géographique pertinent était circonscrit à l’agglomération concernée par les pratiques [Décision n°03-D-15 du 17 mars 2003].

Spécificité de l’offre. La spécificité de la structure de l’offre sur le marché peut conduire à modifier l’analyse effectuée à priori sur la base d’une analyse des caractéristiques des produits et de la demande. Ainsi, il a été considéré que les marchés de la distribution d’eau et de l’assainissement avaient une dimension nationale parce que les trois principales entreprises du secteur intervenaient sur l’ensemble du territoire national [Décision n°02-D-44 du 11 juillet 2002]. Les offreurs peuvent d’ailleurs avoir volontairement une politique visant à élargir leur zone de chalandise. Ainsi il a été considéré, s’agissant d’auto-écoles : « alors que, jusqu’à une époque récente, les marchés pouvaient être délimités selon un critère simple de distance, désormais les stratégies commerciales des prestataires accroissent la capillarité des marchés locaux pour les rendre connexes les uns aux autres » [Avis n°02-A-11 du 2 septembre 2002, non publié]. De même, le fait que les décisions de politique commerciale soient prises à l’échelon national peut constituer l’indice d’un marché d’étendue nationale [Décision n°07-D-12 du 28 mars 2007]. A l’opposé, une offre spécifiquement restreinte à une zone géographique donnée peut conduire à la définition d’un marché plus étroit. Ainsi un marché des déménagements de personnels de la marine limité à la Bretagne a été défini notamment parce que « les entreprises qui interviennent pour effectuer ce type de déménagements sont des entreprises d’envergure régionale et (?) elles sont organisées pour répondre à une demande s’exprimant principalement dans la zone considérée » [Décision n°02-D-62 du 27 septembre 2002]. De même, le marché de l’acquisition des droits de représentation de films en salles de cinéma a été considéré comme de dimension locale parce que les négociations entre les distributeurs de films et les exploitants de salles se font à l’échelle des zones de chalandise des cinémas [Décision n°07-D-44 du 11 décembre 2007].

Environnement juridique. L’existence d’une réglementation locale ou régionale spécifique peut permettre de distinguer des marchés géographiques pertinents. Ainsi, il a été considéré qu’il existait un marché européen des implants rachidiens, dès lors que ces produits faisaient l’objet d’une réglementation des produits harmonisée au plan communautaire et que leur homologation dans un Etat Membre permettait leur circulation dans toute la Communauté [Décision n°02-D-35 du 13 juin 2002]. A l’inverse, le marché de la location et de l’entretien de machines à affranchissement postal a été défini comme ayant une dimension nationale, dès lors que la réglementation applicable était nationale et générait pour cette activité des surcoûts importants [Décision n°05-D-44 du 21 juillet 2005]. De même, la dimension géographique d’un marché d’élimination de déchets a pu être circonscrite à une région, notamment parce que le cadre législatif et réglementaire de la gestion des déchets incite à limiter en distance et en volume le transport des déchets [Décision n°03-D-61 du 17 décembre 2003].

Position dominante

De manière constante, la position dominante est définie comme « la situation dans laquelle une entreprise est susceptible de s’abstraire des conditions du marché et d’agir à peu près librement sans tenir compte du comportement et de la réaction de ses concurrents » [Voir par exemple le rapport annuel du Conseil de la concurrence pour 2004, page 228. L’importance du critère de l’autonomie de comportement a notamment été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 mai 2000,]. Il a également été précisé, dans une décision de 2004, que « la délimitation d’un marché pertinent ou la mise en œuvre d’un test de dominance évaluant la possibilité pour une entreprise d’avoir un comportement indépendant de celui de ses concurrents et, in fine, des consommateurs, selon la définition adoptée par les autorités de la concurrence tant nationales qu’européennes, ont en commun d’avoir pour objectif l’évaluation du pouvoir de marché d’une entreprise, c’est-à-dire sa capacité à augmenter ses prix au-delà du prix concurrentiel, et donc de se comporter de manière indépendante. La primauté donnée à la prise en compte de la substituabilité de la demande dans la définition du marché pertinent est fondée sur le lien direct entre l’élasticité de la demande adressée à l’entreprise et sa marge, écart entre prix de vente et coûts : le niveau de cette marge révèle, en effet, le pouvoir de marché de l’entreprise » [Décision n°04-D-48 du 14 octobre 2004,]. Il est à noter que, si la question de la dominance est le plus souvent appréciée du point de vue du pouvoir de marché de l’entreprise en tant qu’offreur, elle peut également l’être du point de vue de son pouvoir de marché en tant qu’acheteur de biens ou services [Décision n°07-D-44 du 11 décembre 2007,]. On distinguera dans les développements ci-après la position dominante détenue individuellement par une seule entreprise, situation à laquelle les principes mentionnés ci-dessus sont le plus souvent applicables, de la position dominante détenue collectivement par plusieurs entreprises, qui constitue une hypothèse beaucoup plus spécifique mais d’un grand intérêt étant donné le degré de concentration croissant de l’offre sur de nombreux marchés.

Position dominante individuelle

Parts de marché. Aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit un seuil de parts de marché au-delà duquel il doit être considéré qu’une entreprise détient une position dominante. Une part de marché importante peut néanmoins constituer un indice en ce sens, voire un indice déterminant lorsque cette part de marché est très importante [Pour la question de savoir comment la part de marché doit être calculée, on se reportera à la décision n°06-D-18 du 28 juin 2006, BOCCRF n°1 du 26 janvier 2007. En particulier, La part de marché peut être calculée sur la base du chiffre d’affaires mais aussi sur la base de tous éléments de calculs pertinents pour le marché concerné. Les parts de marché n’incluent pas, en principe, les ventes intragroupe, sauf lorsque les caractéristiques du marché le justifient, par exemple parce que ces ventes sont significatives d’un pouvoir de marché]. Il a par exemple été considéré que la détention par un groupe de presse d’une part de marché cumulée de 92% sur un marché régional de la vente d’espace publicitaire dans la presse quotidienne constituait l’indice suffisant d’une position dominante [Décision n°05-D-44 du 21 juillet 2005,]. Une part de marché plus faible, mais néanmoins importante, peut également constituer un indice, notamment lorsque la part de marché des concurrents est elle-même beaucoup plus faible. Par exemple, dans une décision de 2005, il a été estimé qu’une entreprise détenant une part de marché d’environ 40% était en position dominante, notamment au regard du fait que le numéro du marché avait une part de marché représentant moins du tiers, et le numéro trois une part de marché représentant moins du quart de celle de l’entreprise dominante [Décision n°05-D-32 du 22 juin 2005]. A l’inverse, une part de marché proche de 50% a pu être considérée comme insuffisante pour caractériser une position dominante, dès lors que les deux autres concurrents détenaient des parts de marché significatives [Décision n°07-D-37 du 7 novembre 2007]. Par ailleurs, le fait que la part de marché de l’entreprise considérée ait progressivement baissé pendant les années de la pratique abusive alléguée n’empêche pas la qualification d’entreprise dominante, si elle conserve une part de marché très supérieure à celles de ses concurrents [Décision n°04-D-70 du 16 décembre 2004]. A l’inverse, sur un marché naissant et en pleine évolution technologique, une part de marché importante au moment des faits n’est pas nécessairement déterminante [Décision n°04-D-54 du 9 novembre 2004]. Enfin, une part de marché faible est généralement synonyme d’absence de position dominante. Par exemple, la qualification d’entreprise dominante a été écartée, sans se fonder sur d’autres critères, pour une entreprise détenant une part de marché de 21% [Décision n°04-D-32 du 8 juillet 2004]. De même, dans une décision de 2006, il a été estimé qu’une part de marché de 14,4%, en présence d’un concurrent détenant une part de marché de 42%, était de nature à exclure la caractérisation d’une position dominante [Décision n°06-D-12 du 6 juin 2006]. Si la part de marché est à priori calculée sur la base de ventes, d’autres modes de calculs peuvent être plus pertinents dans certains secteurs d’activités, tels que par exemple les capacités pour une activité de stockage ou les réserves minières pour une activité d’exploitation minière [Décision n°07-D-28 du 13 septembre 2007].

Autres caractéristiques de l’entreprise. D’autres critères que la seule part de marché peuvent entrer en ligne de compte, tels que la notoriété, la détention d’une large gamme de produits, la présence territoriale, l’appartenance à un groupe important, ou la présence sur des marchés connexes. Dans une affaire de 2006, la position de l’organisme attribuant les labels « gîtes de France » aux chambres d’hôtes a par exemple été qualifiée de dominante, au vu de sa part de marché de 75%, beaucoup plus importante que celle de ses concurrents, de son image généralement associée à celle des services de gîte et chambres d’hôte et du fait que l’octroi de son label facilitait de façon significative l’attribution de subventions publiques [Décision n°06-D-06 du 17 mars 2006]. Dans une affaire de 2005, le fabricant d’aliments pour chiens Royal Canin a été qualifié de dominant sur le marché des croquettes sèches pour chiens dans la distribution spécialisée, celui-ci ayant une part de marché d’environ 40% avec deux marques incontournables, une forte notoriété, une présence territoriale étendue et des contacts étroits avec les vétérinaires prescripteurs, ses concurrents ayant des parts de marché beaucoup plus faibles [Décision n°05-D-32 du 22 juin 2005]. Dans une affaire de 2004, une entreprise a été qualifiée de dominante sur un marché lié à la fourniture d’équipement éditorial pour auto-écoles, parce qu’elle détenait une part de marché d’environ 70%, largement supérieure à celle de ses concurrents, et qu’elle appartenait à une « multinationale puissante » dans le domaine de l’édition [Décision n°04-D-09 du 31 mars]. En revanche, certains critères peuvent être rejetés comme n’étant pas pertinents sur le marché en cause. Par exemple, il a été estimé que le taux de référencement des produits d’une entreprise dans la grande distribution n’était pas pertinent, puisqu’il conduit à juger de la position d’un acteur sur un marché en fonction du nombre de références exposées et non pas en fonction de l’importance des ventes [Décision n°04-D-72 du 21 décembre 2004]. Les caractéristiques conférant une position dominante peuvent être propres au marché concerné : par exemple, sur le marché du fromage de Roquefort, le fait d’être le principal propriétaire des caves du village de Roquefort, dans lesquelles tout fromage de Roquefort doit nécessairement être affiné pour pouvoir utiliser la dénomination « Roquefort » [Décision n°04-D-13]. La position dominante peut également résulter du fait que le marché concerné est un marché de produits dérivés (par exemple des pièces détachées) d’un produit principal pour lequel l’entreprise est dominante [Décision n°07-D-20 du 19 juin 2007].

Analyse des comportements sur le marché. La détention ou non d’une position dominante peut également être démontrée à partir d’une analyse du comportement des acteurs du marché. Ainsi, dans une affaire concernant une entreprise qui détenait une part de marché estimée à 56-68 %, le prochain concurrent ayant une part de marché deux fois moins importante, le comportement des concurrents a conduit au constat que ceux-ci avaient été contraints de s’aligner sur la politique commerciale de l’entreprise principale sur le marché, ce phénomène d’imitation étant indicatif d’une position dominante [Décision n°04-D-28 du 2 juillet 2004]. De même, il a été relevé qu’une entreprise détenant environ 60% de parts de marché et une marque de notoriété importante avait refusé une baisse de prix demandée par un des principaux distributeurs spécialisés et au contraire obtenu de ce dernier qu’il augmente ses prix à la revente, ce qui illustrait le fait que cette entreprise « est bien en mesure d’avoir un comportement indépendant dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement des consommateurs » [Décision n° 04-D-12 du 7 avril 2004]. A l’inverse, pour décider que France Telecom ne détenait pas une position dominante sur le marché de la téléphonie mobile, il a été relevé que sa part de marché de 45-49% ainsi que le prix de revient d’un téléphone mobile pour les consommateurs avaient baissés par effet du jeu de la concurrence, que l’opérateur historique n’avait pas toujours été à l’initiative des innovations commerciales sur ce marché et qu’il avait au contraire parfois été contraint de s’aligner sur celles de ses concurrents [Décision n°04-D-22 du 21 juin 2004].

Dominance sur un marché éphémère. La question se pose régulièrement de savoir si une entreprise peut être dominante du seul fait qu’elle soit titulaire « sortant » d’un marché public donné. En effet, il est généralement considéré que chaque appel d’offres dans le cadre de marchés publics est un marché pertinent sur lequel se rencontrent la demande de la collectivité publique concernée et les offres des entreprises souhaitant y répondre. Une décision de 2008 a répondu à cette problématique de façon relativement précise : « le fait d’être le titulaire ?sortant’ d’un tel contrat public ne permet pas d’établir par lui-même une situation de dominance. Pour établir une telle situation, il faut démontrer le lien entre le marché mis en jeu et un autre marché sur lequel l’un des offreurs détiendrait une position dominante, suffisant pour considérer qu’un comportement observé sur le premier marché est susceptible de constituer un abus de la position dominante détenue sur le second (qui est alors connexe au premier). Mais ce lien n’existe pas nécessairement » [Décision n° 08-D-24 du 22 octobre 2008]. La décision ajoute que les seuls avantages tirés habituellement de la qualité de titulaire sortant, sont en principe insuffisants au regard des autres atouts dont peuvent disposer les offreurs concurrents pour qu’un comportement du sortant visant à tirer parti de son antériorité puisse être considéré comme un abus de la position qu’il détient.

Position dominante collective

Principe. Les différents critères de l’existence d’une position dominante collective ont été récapitulés dans une décision de 2006, de façon si complète qu’il est utile de la citer in extenso : « Pour démontrer l’existence d’une position dominante collective, il faut établir que les entreprises ?ont, ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d’adopter une même ligne d’action sur le marché et d’agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs’ (CJCE, 31 mars 1998, aff. jointes C-68/94 et C-30/95, Kali & Salz, pt. 221; TPICE, 25 mars 1999, aff. T-102/96, Gencor, pt. 163), ce qui peut ressortir de l’examen même des liens ou facteurs de corrélation juridiques existant entre les entreprises ou de l’examen de la structure du marché selon les critères dégagés par le Tribunal de première instance des communautés dans l’arrêt Airtours. L’existence de liens structurels entre des entreprises d’une part, tels que des liens en capital ou encore des accords formalisés entre elles, et l’adoption d’une ligne commune d’action sur le marché d’autre part, suffisent à démontrer l’existence d’une position de dominance collective (CJCE, 16 mars 2000, Compagnie maritime belge ; TPI, 7 octobre 1999, Irish Sugar ; Cour de cassation, 5 mars 1996, Total Réunion Comores ; cour d’appel de Paris, 30 octobre 2001, OMVESA ; Cour d’appel de Paris, 4 juin 2002, CFDT Radio Télé). En l’absence de tels liens, la seule structure du marché peut permettre de mettre en évidence une position dominante collective, si les critères cumulatifs dégagés par le Tribunal de première instance dans son arrêt Airtours du 6 juin 2002 (affaire T-342/99) sont réunis, à savoir la structure oligopolistique et la transparence du marché concerné, la possibilité d’exercer des représailles sur les entreprises déviant de la ligne d’action commune et enfin la non contestabilité du marché ou l’absence de compétition potentielle » [Décision n°06-D-02 du 20 février 2006]. Ainsi, la position dominante collective peut résulter soit de liens structurels et d’une ligne d’action commune, soit des caractéristiques du marché [Sur le caractère alternatif de ces deux types de critères, voir notamment la décision n°07-D-13 du 6 avril 2007. Sur la notion de ligne d’action commune : décision n°08-D-05 du 28 mars 2008,confirmée par la Cour d’appel de Paris, arrêt du 2 juillet 2008 ]. En revanche, la démonstration de l’existence d’une concurrence effective entre les membres de l’oligopole et d’un pouvoir de pression des concurrents et clients, peut permettre de rejeter la définition d’une position dominante collective, même en présence de parts de marché fortes, de liens structurels et d’un certain parallélisme de comportements des membres de l’oligopole [Décision n°06-D-11 du 16 mai 2006,]. Il en est de même si, malgré la présence de certains acteurs importants, la structure du marché est en réalité atomistique et certains acteurs ont vu leur part de marché croître, de sorte que ce marché présente un certain degré de « contestabilité » [Décision n°07-D-12 du 28 mars 2007].

Lien entre la position dominante et l’abus

Même si les décisions ne consacrent généralement pas beaucoup de développements à cette question, il résulte a priori du texte même de l’article L.420-2 du code de commerce que l’abus doit être rendu possible par la détention de la position dominante [Dans une affaire ancienne, la Commission de la Concurrence avait été amenée analyser très clairement l’existence d’un lien de causalité entre la situation de dominance et la pratique abusive reprochée, Commission de la concurrence, avis du 4 novembre 1985]. Par ailleurs, pour être sanctionné, il n’est pas nécessaire que l’abus soit commis sur le même marché que celui sur lequel l’entreprise détient une position dominante, sous réserve que soit établi, d’une part, un lien de connexité suffisant entre le marché dominé et le marché sur lequel est commis l’abus et, d’autre part, un lien de causalité entre la domination et l’abus [Avis 04-A-21]. On citera à cet égard le considérant de principe d’une décision rendue en 2000 : « considérant que la jurisprudence, tant française que communautaire, vérifie que les pratiques constatées sur un marché donné et dénoncées comme abusives sont dans un rapport de causalité avec la domination exercée sur un marché ; que, lorsque le marché où se sont déroulées les pratiques litigieuses et le marché dominé sont distincts, cette vérification conduit, généralement, à s’assurer que ces deux marchés ont un lien de connexité objectif » [Décision n° 00-D-50 du 5 mars 2001].

Marchés connexes. Des marchés semblent pouvoir être connexes, au sens de la jurisprudence citée ci-dessus, « soit parce qu’ils sont en amont ou en aval les uns des autres, soit parce qu’ils concernent des prestations semblables, à défaut d’être complètement substituables ». La définition du marché « connexe » relève d’une analyse au cas par cas, de façon empirique. Ont ainsi été qualifiés de connexes le marché de l’insémination artificielle bovine et celui de la fourniture de semences (marchés situés dans un rapport vertical) [Décision n°04-D-49 du 28 octobre 2004], le marché de la distribution des films aux Antilles et celui de l’exploitation des films en salles en Guadeloupe et en Martinique [Décision n°04-D-44 du 15 septembre 2004], le marché de la fourniture de mobilier urbain publicitaire et celui de l’affichage [Décision n°04-D-32 du 8 juillet 2004], le marché des chariots de transport de déchets et celui du traitement des déchets [Décision n°03-D-61], le marché de l’attribution des concessions publiques de distribution de presse et celui de la distribution de presse [Décision n°03-D-09 du 14 février 2003], ou encore le marché des gaz médicaux et celui de l’installation et de la réparation de réseaux de gaz médicaux [Décision n°03-D-01 du 14 janvier].

Illustrations. Comme on l’a vu ci-dessus, il existe de nombreuses décisions confirmant la possibilité de sanctionner des abus commis ou un ayant un effet sur un marché autre que celui sur lequel l’entreprise concernée est dominante, dès lors que ces deux marchés sont « connexes ». On citera par exemple une décision de 2004, confirmée en appel, qui a sanctionné le groupe Decaux, en position dominante sur le marché de la fourniture de mobilier urbain publicitaire, pour avoir mis en œuvre certaines pratiques sur le marché connexe de l’affichage, qui visaient à dissuader les collectivités locales d’organiser des mises en concurrence pour la fourniture de mobilier urbain publicitaire et d’éventuels concurrents d’y participer [Décision n°04-D-32 du 8 juillet 2004]. On notera qu’en droit communautaire, on peut se demander si la sanction d’un abus commis sur un marché connexe du marché dominé suppose également que l’entreprise concernée ait une position « prééminente » sur le premier marché [Arrêt « Tetra Pak » de la CJCE, 14 novembre 1996, affaire C 333/94, Rec. 1996 p I -5951]. Une décision de 2005 se réfère expressément à cette question: « des pratiques mises en oeuvre sur un marché non dominé ne peuvent toutefois être considérées comme constitutives d’une exploitation abusive d’un marché dominé connexe que si, du fait de cette connexité, et de la prééminence détenue sur le marché non dominé par l’entreprise, elle peut y manifester, par rapport aux autres opérateurs qui y sont présents, une indépendance de comportement lui conférant une responsabilité particulière dans le maintien d’une concurrence effective et non faussée » [Décision n°05-D-28 du 15 juin 2005]. Dans d’autres affaires, ce sont les effets de la pratique (et non la pratique elle-même) qui peuvent concerner un marché connexe sur lequel la société ne détient pas de position dominante [On relèvera toutefois que, dans une décision de 2004, l’existence d’un lien de causalité entre la position dominante de l’entreprise sur un marché donné et les effets d’une pratique sur un autre marché ont été analysés sans mentionner la notion de connexité : décision n° 04-D-54 du 9 novembre 2004]. Par exemple, le groupe pharmaceutique Sandoz a été sanctionné pour avoir pratiqué des remises de couplage, en se reposant sur sa position dominante sur le marché de certaines spécialités pharmaceutiques pour agir sur les marchés connexes de sept spécialités, pour lesquelles les produits Sandoz étaient, à l’inverse, fortement concurrencés [Décision n°03-D-35 du 24 juillet 2003]. De même, la société NMPP, qui détenait une position dominante sur le marché de la distribution de la presse, a été sanctionnée pour en avoir abusé avec un effet sur le marché connexe de l’attribution des concessions publiques de diffusion de presse (en l’espèce dans les aéroports), par des pratiques discriminatoires visant à favoriser la société ?Relais H’, filiale de son actionnaire à 49 % [Décision n°03-D-09 du 14 février 2003].

Abus

La notion d’abus de position dominante est difficile à cerner. Certaines décisions semblent la rapprocher d’une violation de l’obligation qu’aurait l’entreprise dominante d’exercer une « concurrence par les mérites », c’est-à-dire une concurrence par les prix, par l’efficacité économique et par la qualité de ses produits ou services [Voir par exemple la décision n°96-D-10 du 20 février 1996, BOCCRF n°6 du 23 avril 1996 ]. On mentionne parfois également l’existence d’une « responsabilité particulière » de l’entreprise dominante de ne pas porter atteinte à la concurrence sur les marchés [Voir par exemple l’avis n°04-A-21 du 24 octobre 2004 sur ce point, ainsi que les décisions qui y sont citées,]. C’est ce qui explique le fait qu’une entreprise en position dominante puise se voir interdire des pratiques qui sont normalement permises pour une entreprise non dominante [Par exemple le fait de s’attacher la clientèle par des clauses d’exclusivité, décision n°02-D-33 du 10 juin 2002]. L’article L.420-2 du code de commerce contient une liste de certaines pratiques susceptibles d’être abusives : « Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ». La pratique décisionnelle a apporté de nombreuses précisions et dégagé un certain nombre de pratiques généralement considérées comme abusives qui sont décrites dans les développements qui suivent. Enfin, on relèvera que le fait que les clients de l’entreprise dominante aient demandé à celle-ci de mettre en oeuvre les pratiques considérées n’empêche pas leur qualification d’abus de position dominante [Voir par exemple la décision n°04-D-28 du 2 juillet 2004]. On terminera cette présentation générale en apportant une précision qui ne va pas pourtant pas de soi : dans une situation de position dominante collective, l’abus peut être le fait d’une seule des entreprises dominantes [Décision n°06-MC-03 du 11 décembre 2006, non encore publiée].

Exception de riposte. L’entreprise dominante peut, dans certaines circonstances, arguer de son droit de riposter à des pratiques commerciales de ses concurrents pour justifier son propre comportement. Il est généralement considéré qu’une entreprise dominante est en droit de se défendre et de développer sa part de marché lorsqu’elle est confrontée à l’arrivée d’un concurrent, pourvu qu’elle le fasse dans les limites d’un comportement loyal et légitime, en recourant à des moyens relevant de la concurrence par les mérites [Décision n° 04-D-22 du 21 juin 2004]. Dans la mesure où un comportement qui ne relève pas de la concurrence par les mérites devrait, en tout état de cause, être considéré comme abusif, on peut se demander si ce « droit de riposte » constitue véritablement une forme de défense en cas d’abus. Par exemple, il a été considéré que le simple fait de lancer une offre concomitante et ressemblant à celle d’un concurrent pour y riposter n’est pas abusif en soi [Décision n°96-D-10 du 20 février 1996,]. En revanche, le fait de pratiquer des remises sélectives particulièrement élevées dans une seule zone géographique dans laquelle un concurrent avait refusé de se plier à sa volonté peut constituer une riposte démesurée [Décision n°00-D-14 du 3 mai 2000]. Dans le premier cas, il s’agit d’un simple acte de concurrence, dans le deuxième cas il s’agit d’une stratégie d’éviction reposant sur la capacité spécifique de l’entreprise dominante à discipliner le marché du fait de sa seule puissance. On citera enfin une affaire relativement étonnante de 2004, dans laquelle il a été décidé que l’on ne saurait à priori interdire une offre couplée, habituellement considérée comme abusive, de la part d’une entreprise dominante, dès lors que ses concurrents seraient également capables d’offrir ce type de services [Décision n° 04-D-22 du 21 juin 2004]. Ce raisonnement, qui ne semble pas tenir compte du principe selon lequel l’entreprise dominante a une responsabilité particulière et peut donc se voir interdire des pratiques autorisées à ses concurrents, tend finalement à reporter le débat sur les effets concrets de la pratique sur le marché considéré. Dans le cas d’espèce, il a été considéré que l’offre de l’entreprise dominante était peu attractive, de courte durée et avait fait l’objet de peu de publicité ? il a donc considéré qu’il n’y avait pas eu d’abus.

Objet et effet de la pratique. Alors que le texte de l’article L.420-2 du code de commerce, contrairement à l’article L.420-1 en matière d’ententes, ne mentionne pas la nécessité de démontrer l’objet ou l’effet anti-concurrentiels de l’abus de position dominante, le Conseil de la concurrence en fait une condition de la prohibition [Voir notamment : décision n°04-D-48 du 14 octobre 2004]. Par ailleurs, on notera que les articles L.464-6-1 et L. 464-6-2 du code de commerce, qui fixent un seuil de sensibilité des effets d’une pratique en dessous duquel l’Autorité peut décider de ne pas poursuivre une procédure, ne s’appliquent pas aux abus de position dominante. Cependant, il est tout de même exigé que les effets de la pratique alléguée sur le ou les marchés pertinents soient sensibles pour qualifier celle-ci d’abusive, par application du principe « de minimis non curat praetor ». Il pourrait être soutenu que la position dominante de l’auteur de la pratique devrait conférer un caractère sensible aux effets de celle-ci dans une majorité des cas. Il a néanmoins pu être considéré qu’une pratique de courte durée ou de faible portée n’avait pas d’effet sensible sur le marché et n’était donc pas condamnable, même si elle émanait d’une entreprise dominante [Décision n°03-D-33 du 3 juillet 2003]. Au final, il se dégage des décisions les plus récentes une importance croissante de la démonstration des effets potentiels ou réels des pratiques considérées sur les marchés pertinents. Cette tendance, qui touche également le droit communautaire, s’accompagne d’un recours croissant à la théorie et aux études économiques tant par les conseils des entreprises que par les autorités de la concurrence [Ces théories économiques concernent, tout particulièrement, les pratiques de prix prédateurs, les pratiques de couplage et les licences de propriété intellectuelle].

Modification du comportement commercial. Une entreprise, même en position dominante, est en principe libre de modifier sa politique commerciale, même s’il peut en résulter des conséquences dommageables pour des tiers. Ce principe conduit au rejet fréquent de plaintes de distributeurs accusant leur fournisseur, entreprise dominante, d’avoir modifié son système de distribution à leur détriment. Il en est par exemple ainsi pour un fabricant qui décide de vendre directement aux clients finaux, écartant les intermédiaires du marché [Décision n°03-D-14 du 11 mars 2003]. Il en est de même pour un groupe opérant à travers deux marques aux positionnements différents, qui est en droit « d’organiser la distribution et la publicité de ces marques de sorte que ces différences de notoriété soient exploitées » [Décision n°06-D-26 du 15 septembre 2006]. La modification de la politique commerciale d’un fabricant ne suffit pas à établir l’existence d’un abus du seul fait qu’elle engendre un manque à gagner pour ses distributeurs [Décision n°03-D-20 du 18 avril 2003]. Par exemple, la seule rupture de relations commerciales établies ne suffit pas à caractériser un abus [Décision n°04-D-60 du 25 novembre 2004]. Les décisions rendues en la matière précisent généralement que les distributeurs n’ont pas de « droit acquis » et que l’intervention de l’autorité de la concurrence ne se justifierait qu’en cas de pratiques ayant un objet ou un effet anti-concurrentiels. Typiquement, ce type d’affaire relève plus de l’interdiction des pratiques commerciales restrictives au sens de l’article L. 442-6 du code de commerce et de sa connotation « moralisatrice », que du droit de la concurrence.