Loteries et ventes avec prime : remise en cause des règles nationales

La directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 a pour objet de rapprocher les législations des Etats membres en ce qui concerne les pratiques commerciales déloyales et notamment la publicité déloyale.  Dans une décision du 14 janvier 2010 (C-304/08), la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) se fonde sur cette directive pour considérer qu’une réglementation nationale ne peut prévoir une interdiction de principe, sans tenir compte des circonstances spécifiques du cas d’espèce, des pratiques commerciales faisant dépendre la participation des consommateurs à un concours ou à un jeu promotionnels de l’acquisition d’un bien ou d’un service. Ce faisant, le juge européen confirme que le système de protection des consommateurs mis en place par la directive se substitue aux droits nationaux de la consommation pour ce qui concerne son champ d’application et remet en cause les règles nationales plus protectrices.

1. Remise en cause des droits nationaux de protection du consommateur

Dans une décision du 14 janvier 2010 (C-304/08), la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a jugé que la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, qui vise à uniformiser certains principes du droit de la consommation dans l’Union Européenne, s’oppose à ce qu’une réglementation nationale puisse prévoir une interdiction de principe, sans tenir compte des circonstances spécifiques du cas d’espèce, des pratiques commerciales faisant dépendre la participation des consommateurs à un concours ou à un jeu promotionnels de l’acquisition d’un bien ou d’un service.

Cet arrêt concernait les pratiques d’une entreprise allemande de vente au détail qui avait lancé une campagne promotionnelle consistant à accumuler des points grâce à l’achat de ses produits afin de pouvoir participer gratuitement à certains tirages de la loterie nationale allemande. Le juge allemand a saisi à titre préjudiciel la CJUE sur la question de la compatibilité des dispositions nationales allemandes avec la directive, dans la mesure où celles-ci prévoient une interdiction générale des concours et des jeux promotionnels avec obligation d’achat.

Après avoir relevé que « des campagnes promotionnelles [?] subordonnant la participation gratuite du consommateur à une loterie à l’achat d’une certaine quantité de biens ou de services [?] constituent bien des pratiques commerciales » au sens de la directive, la CJUE énonce que « les Etats membres ne peuvent pas adopter des mesures plus restrictives que celles définies par ladite directive, même aux fins d’assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs ».

Or, l’annexe I de la directive comporte une liste exhaustive de 31 pratiques commerciales qui sont réputées déloyales « en toutes circonstances », parmi lesquelles ne figurent pas les pratiques associant l’acquisition de biens ou de services à la participation à un jeu concours. D’où il suit que de telles pratiques ne peuvent être interdites sans qu’il soit déterminé, au cas par cas, si ce sont des pratiques trompeuses ou agressives ne correspondant pas aux conditions d’une diligence professionnelle normale et susceptibles d’amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas pris autrement (articles 5, 6,7, 8 et 9 de la directive).

Cet arrêt de la CJUE n’est pas isolé puisqu’il fait suite à un arrêt rendu le 23 avril 2009 (C-261/07 et C-299/07) relatif aux ventes avec primes et aux ventes liées (« ventes conjointes »). Ces deux affaires concernaient, d’une part, l’offre par un distributeur de carburants d’offrir aux consommateurs trois semaines gratuites d’assistance au dépannage pour chaque plein d’au moins 25 litres de carburant, et d’autre part l’offre d’un hebdomadaire accompagné d’un carnet donnant droit à des remises dans certains magasins de lingerie. Saisie d’une question préjudicielle relative à la compatibilité du droit belge au regard du droit communautaire, la CJUE avait alors décidé que les dispositions de la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales s’opposaient à la prohibition par principe, sans analyse au cas par cas, des « ventes conjointes » en droit national de la consommation.

La Cour y avait alors appliqué les principes évoqués ci-dessus : (1) les Etats membres ne peuvent pas adopter des mesures plus restrictives que celles définies par la directive, même aux fins d’assurer un degré plus élevé de protection, (2) la directive comporte en son annexe 1 une liste exhaustive de 31 pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances ; hormis ces pratiques, il convient d’apprécier au cas par cas le caractère déloyal ou non de chaque pratique et (3) une pratique commerciale est déloyale si elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen par rapport au produit.

2. Application par les juridictions françaises

Les principes ainsi dégagés par la CJUE ont conduit la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 14 mai 2009, à remettre en cause le droit français en matière de ventes avec primes.

Rappelons qu’en droit français, la pratique des ventes avec primes est prohibée, à l’exception des ventes avec primes de faible valeur ne dépassant pas un certain seuil. La Cour d’appel de Paris était saisie d’une affaire dans laquelle il était reproché à France Telecom de subordonner l’accès à sa chaîne Orange Foot à la souscription d’un abonnement Internet haut débit Orange. La Cour, après avoir indiqué que les ventes liées ou subordonnées sont des pratiques commerciales au sens de la directive, a constaté que les offres subordonnées ne font pas parties de la liste exhaustive des pratiques commerciales déloyales figurant dans la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 et jugé que la pratique commerciale mise en cause n’était ni trompeuse ni agressive. Interprétant le droit français à la lumière des prescriptions de la directive, selon lesquelles ce type de pratique doit être apprécié au cas par cas, la Cour a considéré que France Télécom n’avait pas commis d’infraction.

Il est à noter que le même raisonnement a été repris par la suite dans une décision du Tribunal de Grande Instance de Bobigny du 15 mai 2009, à propos de la vente d’ordinateurs avec des logiciels préinstallés.

L’application des principes dégagés par la CJUE, telle que confirmés dans l’arrêt rendu par cette dernière le 14 janvier 2010, est donc de nature à remettre en cause une partie du droit de la consommation français, en contraignant le juge à vérifier au cas par cas le caractère agressif et non diligent des campagnes de marketing litigieuses. Cette situation devrait permettre des pratiques auparavant exclues. Mais elle rend aussi plus subjective l’analyse des risques encourus, car l’appréciation du caractère agressif ou non d’une opération promotionnelle n’est pas nécessairement évidente.