Les conditions générales d’Amazon jugées abusives et illicites

Publié dans la revue E-Commerce Law Reports, Mars 2009, Volume 08 n°6

Dans une décision du 28 octobre 2008, le Tribunal de grande instance de Paris a déclaré abusives ou illicites 18 clauses des conditions générales du site Internet d’Amazon, de sa plateforme marketplace et du programme de protection des informations personnelles. Le tribunal a condamné les sociétés Amazon Services Europe et Amazon EU à payer la somme de 30.000 d’euros à l’association de consommateurs UFC Que Choisir qui les avait poursuivis après plusieurs années de négociation infructueuse.

Les ventes effectuées sur le site Internet www.amazon.fr s’effectuent au nom d’Amazon EU, société de droit luxembourgeois, agissant en qualité de vendeur. Ces ventes sont régies par les conditions générales de vente d’Amazon EU et les consommateurs doivent accepter le document relatif à la protection des informations personnelles qui définit les conditions dans lesquelles ces informations sont traitées.

Amazon Service Europe, autre société de droit luxembourgeois, fournit une plateforme intitulée « Marketplace » disponible aussi via le site www.amazon.fr, et qui permet aux professionnels ou aux consommateurs de vendre ou d’acheter des produits en ligne, après avoir accepté de participer au programme « Marketplace ».

UFC Que Choisir a demandé au Tribunal de grande instance de Paris de déclarer abusives ou illicites 36 clauses des conditions générales de vente du site www.amazon.fr, des conditions générales d’utilisation de la plateforme « Marketplace » et du programme de protection des informations personnelles d’Amazon.

En droit français, des clauses peuvent être déclarées abusives et/ou illicites. Conformément à l’article L. 132-1 du Code de la consommation, les clauses abusives sont des clauses qui, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, ont pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du non-professionnel ou du consommateur. Sont illicites les clauses contraires à l’ordre public ou à une disposition légale impérative.

Le tribunal a considéré 18 clauses abusives ou illicites sur les 36 invoquées.

I – Les clauses des conditions générales de vente

– La clause ayant pour effet d’exclure la responsabilité d’Amazon EU pour tous dommages indirects

La clause était ainsi rédigée : « nous mettons en ?uvre tous les moyens dont nous disposons pour assurer les prestations objet des présentes conditions générales de vente. Nous sommes responsables de tous dommages directs. En aucun cas nous n’encourons de responsabilité pour perte de bénéfices, pertes commerciales, pertes de données ou manque à gagner ou tous autres dommages indirects ».

Selon le tribunal, cette clause est contraire aux dispositions de l’article L.121-20-3 al 4 du Code de la consommation qui dispose que « Le professionnel est responsable de plein droit à l’égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance » et aux dispositions de l’article R132-1 du même code (qui a été depuis modifié par un décret n°2009-302 du 18 mars 2009) selon lequel « est interdite comme abusive (?) la clause ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou réduire le droit à réparation du non-professionnel ou du consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations. ».

La clause emportant cession des droits d’auteurs au profit d’Amazon EU

Les consommateurs ont la possibilité de poster des commentaires, suggérer des idées ou poser des questions sur www.amazon.fr.

Les conditions générales de vente d’Amazon EU stipulent que le consommateur lui cède le droit non exclusif, gratuit et pour la durée légale des droits d’auteur d’utiliser et de reproduire de tels contenus, sur tout support et dans le monde entier . Le consommateur renonce, par ailleurs, à son droit d’être identifié comme l’auteur de l’?uvre.

Le tribunal a considéré que cette clause portait atteinte au droit moral de l’auteur prévu à l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle. Le droit moral de l’auteur comprend le droit d’être identifié comme l’auteur de l’?uvre (le droit à la paternité de l’?uvre), droit auquel on ne peut renoncer et qui ne peut être cédé.

La clause prévoyant la seule responsabilité du consommateur en cas de poursuite d’action d’un tiers en raison d’un contenu communiqué par le consommateur

L’article 6.I.2 de la loi n°2004-575 sur la confiance dans l’économie numérique (« LCEN » qui transpose la Directive n°2000/31/CE sur le commerce électronique) dispose que l’hébergeur n’est pas responsable des informations stockées à la demande d’un utilisateur, à condition que :

· L’hébergeur n’ait pas eu connaissance du caractère illicite de l’activité ou de l’information ; ou

· L’hébergeur, dès le moment où il en a eu connaissance, a agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.

Amazon EU est responsable, en qualité d’hébergeur, des contenus communiqués conformément aux dispositions de cet article, à partir du moment où il a eu connaissance du caractère illicite du contenu.

Cette clause est donc contraire à la LCEN dès lors qu’elle prévoit que la responsabilité devra être supportée par le seul consommateur alors qu’elle peut être partagée, voire supportée en totalité par l’hébergeur.

II- Les clauses contenues dans la rubrique « protection de vos informations personnelles »

Les clauses autorisant Amazon EU à partager les données personnelles avec ses filiales et à les divulguer en application de « tout accord »

Ces clauses étaient rédigées de la manière suivante :

« Nous partageons ces informations avec Amazon.com Inc et les filiales qu’Amazon.com Inc contrôle et qui se conforment à la présente politique ou appliquent des règles aussi protectrices que celles mentionnées dans la présente politique ».

« Nous divulguons le contenu des comptes clients et toute autre information personnelle lorsque nous y sommes légalement obligés ou si cette divulgation est nécessaire pour exécuter et faire appliquer nos conditions générales de vente ou tout autre accord, ou pour protéger les droits d’Amazon ou des tiers ».

Le tribunal a jugé que ces clauses étaient de nature à créer un déséquilibre entre les droits et obligations des parties, dans la mesure où le consommateur se voit imposer le partage de ses données personnelles sans que lui soit indiqué l’usage et l’utilité d’un tel traitement.

D’autre part, de telles clauses sont contraires à la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Les clauses autorisant Amazon EU à envoyer les données personnelles à d’autres sociétés en cas d’offres promotionnelles, de co-branding ou de partenariat

Ces clauses sont contraires aux dispositions de l’article L. 121-20-5 du Code de la consommation qui dispose : « la prospection directe par courrier électronique est autorisée si les coordonnées ont été recueillies directement auprès de lui (?) à l’occasion d’une vente ou d’une prestation de services, si (i) la prospection directe concerne des produits ou services analogues fournis par la même personne physique ou morale et (ii) si le destinataire se voit offrir, de manière expresse et dénuée d’ambiguïté, la possibilité de s’opposer, sans frais (?) et de manière simple, à l’utilisation de ses coordonnées (?) ».

Des offres promotionnelles ont été envoyées par Amazon EU « pour le compte d’autres sociétés », alors que la prospection n’est possible que pour les biens ou services analogues à ceux délivrés par Amazon EU.

III- Les clauses du programme « Marketplace »

La clause imposant l’application de la loi luxembourgeoise

L’article 17 de la LCEN dispose que l’activité de commerce électronique est soumise à la loi de l’Etat membre sur le territoire duquel la personne qui l’exerce est établie, sous réserve de la commune intention des parties.

Le tribunal a souligné qu’Amazon Services Europe, qui s’adresse essentiellement à des consommateurs résidant en France via son site www.amazon.fr ne serait pas en mesure de prouver que l’intention des consommateurs aurait été de choisir la loi luxembourgeoise pour régler tout litige.

De plus, l’article 17 de la LCEN prévoit qu’un consommateur, qui a sa résidence principale en France, ne peut être privé des dispositions protectrices de la loi française. Le tribunal a donc considéré que le libellé de cette clause était contraire aux dispositions de l’article 17 de la LCEN.

Les clauses ayant pour effet d’exonérer Amazon Services Europe de toute responsabilité quant à la légalité des produits proposés sur le forum et en cas de litiges entre les participants

Comme évoqué précédemment, la responsabilité d’Amazon Services Europe, en qualité d’hébergeur, peut être engagée sur le fondement de l’article 6.I de la LCEN, dès lors qu’elle a eu connaissance du caractère illicite des contenus figurant sur sa plateforme. Par conséquent, la clause qui exclut de façon générale la responsabilité d’Amazon Services Europe est illicite.

La clause imposant au consommateur d’indemniser Amazon de tous les condamnations dont elle pourrait être l’objet à raison des informations communiquées par le consommateur sur sa plateforme

Le tribunal a considéré que cette clause manquait de précision quant au type de litiges dans lequel Amazon était susceptible d’être partie et que par conséquent, cela créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, le consommateur ne pouvant déterminer la nature et l’étendue de l’engagement auquel Amazon Services Europe lui demandait de souscrire.

Cette clause a donc été déclarée abusive conformément aux dispositions précitées de l’article L. 132-1 du Code de la consommation.

La clause autorisant Amazon Services à mettre fin de manière discrétionnaire au contrat

Une fois encore, le tribunal a jugé que cette clause créait un déséquilibre entre les obligations des parties, le vendeur pouvant être exclu de la plateforme « Marketplace » sans aucune justification et sans lui donner la possibilité de contester cette décision.

Les clauses autorisant Amazon Services Europe à imposer des limites de transaction, à différer le versement du prix au vendeur sans précision de délai ni de motif, à refuser le versement du prix au vendeur, à le consigner ou à le rembourser à l’acheteur sans justification

D’après le tribunal, ces clauses manquent de précisions et ne permettent donc pas au consommateur d’identifier clairement la nature et l’étendue de l’obligation qu’il contracte. Le tribunal a donc considéré que ces clauses étaient abusives conformément aux dispositions du Code de la consommation.

Conclusion

La décision du Tribunal de grande instance de Paris est très protectrice des intérêts des consommateurs et conduit à se poser plusieurs questions : est-il encore possible pour un professionnel de limiter sa responsabilité vis-à-vis du consommateur ? Est- il toujours possible d’échapper à l’application de la loi française?

L’exécution provisoire du jugement a été ordonnée, le retrait des clauses litigieuses n’a cependant pas été imposé sous astreinte. Ceci peut expliquer que jusqu’à maintenant, Amazon n’ait pas respecté la décision du tribunal, puisque les clauses annulées sont toujours visibles sur le site Internet www.amazon.fr.