Le point sur la distribution sélective

En temps de crise, les réseaux de distribution sélective ont la cote. Permettant de valoriser les produits et d’améliorer les marges, ce mode de commercialisation est actuellement mis en place par de nombreux fabricants dans tous les secteurs. Cependant, la distribution sélective n’est pas toujours possible. De plus, lorsqu’elle est envisageable, elle implique des contraintes et le respect de certaines règles de base.

Le principe d’un réseau de distribution sélective consiste pour un fabricant à sélectionner, sur la base de critères définis, les distributeurs qui seront les seuls habilités à distribuer ses produits. En France, l’organisation d’un tel réseau est soumise au respect des dispositions de l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (ci-après le « TUE ») et de l’article L420-1 du Code de commerce, qui prohibent les accords ayant pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. En effet, un refus de vente à un distributeur non agréé peut être considéré comme résultant d’un accord entre le fabriquant et ses distributeurs agréés, qui a un effet restrictif de la concurrence entre distributeurs pour le produit de la marque concernée (concurrence dite « intramarque »).

1. TYPE DE PRODUITS CONCERNES PAR LA DISTRIBUTION SELECTIVE

Un courant important de jurisprudence a pu considérer que les accords qui sous-tendent l’organisation d’un réseau de distribution sélective ne sont pas restrictifs de concurrence, dès lors qu’ils sont rendus nécessaires par la nature des produits concernés . En effet, pour des produits de luxe ou présentant une certaine technicité, il a été jugé que la distribution sélective était nécessaire pour garantir la qualité de la commercialisation et préserver l’image de la marque et des produits. Ont ainsi, par exemple, été jugés dignes de cette protection particulière certains articles d’horlogerie d’une grande complexité technique , du matériel informatique , du matériel électronique de divertissement ou encore des cosmétiques de luxe . La justification par la nature du produit ne concerne pas seulement les produits de luxe ou de haute technicité. Ainsi, ont aussi été considérés comme pouvant bénéficier de la protection d’un réseau de distribution sélective des services de table en céramique , des jeans , ou encore des journaux périodiques .

Cependant, l’application de ce principe est perturbée par le fait que les accords de distribution sont exemptés d’interdiction lorsqu’ils remplissent les conditions d’exemption prévues par le règlement communautaire en matière de restrictions verticales. Ces conditions reposent essentiellement sur (1) le non-franchissement d’un certain seuil de parts de marché et (2) l’absence de restrictions de concurrence graves, qui sont listées dans le règlement, dans les rapports fournisseur-distributeur. Le régime de ces exemptions, antérieurement défini par un règlement n°2790/1999, est désormais soumis aux dispositions du nouveau règlement d’exemption n°330/2010 adopté par la Commission européenne le 20 avril 2010 . Ce règlement est entré en vigueur le 1er juin 2010, avec une phase transitoire d’un an au cours de laquelle les accords en vigueur au 31 mai 2010 qui ne remplissent pas ses conditions, mais qui sont conformes à l’ancien règlement, n’y sont pas soumis. Le règlement est accompagné de lignes directrices de la Commission.

L’application du règlement d’exemption a une conséquence fondamentale : il ne crée pas de distinction, pour exempter un système d’accords sélectifs, en fonction du type de produits concernés. Si les conditions du règlement sont respectées, tous les produits peuvent bénéficier de la mise en place d’un réseau de distribution sélective et, par voie de conséquence, justifier un refus de livraison à un distributeur non agréé . Cependant, il faut nuancer ce point à la lecture des lignes directrices publiées par la Commission pour interpréter le règlement, qui prévoient que le bénéfice de l’exemption peut être « retiré » si la nature du produit ne la justifie pas . Ce retrait d’exemption suppose que la Commission européenne ou une autorité de la concurrence soient saisies, par exemple à la demande d’un distributeur éconduit .

Il reste à noter que le règlement d’exemption prévoit un nouveau seuil de parts de marché. Désormais, pour que le réseau bénéficie de l’exemption, la part de marché détenue par le fournisseur ne devra pas dépasser 30% du marché sur lequel il vend ses produits ou services et la part de marché détenue par les distributeurs ne devra pas dépasser 30% du marché sur lequel ils achètent les biens ou services. Cette modification vise à prendre en compte la puissance d’achat accrue de certains distributeurs et notamment de la grande distribution. Pour ce qui est des restrictions graves listées dans le règlement, elles sont relativement classiques et nous ne les détaillerons pas ici. A noter toutefois que, parmi ces restrictions sont susceptibles de figurer certaines restrictions à la vente sur Internet, qui sont abordées en dernière partie de la présente note.

2. SELECTION DES DISTRIBUTEURS

L’une des principales causes de litiges relatifs à la distribution sélective concerne les modalités de sélection des distributeurs par le fournisseur. En effet, il est fréquent qu’un distributeur, s’étant vu refuser l’agrément par le fournisseur intente, une action contre ce dernier pour avoir mis en place un mode de sélection discriminatoire ou injustifié.

Le juge communautaire considère que (1) le choix des distributeurs doit s’effectuer selon des critères objectifs fixés de manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels, (2) ces critères ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’amélioration des conditions de vente des produits . L’autorité française de la concurrence, ainsi que les juridictions nationales, s’inspirent pour l’essentiel de ces principes .

Le règlement communautaire évoqué précédemment ne créé pas de distinction, pour exempter un système sélectif, en fonction des modalités de la sélection. Lorsque les conditions de parts de marché et d’absence de restrictions caractérisées au sens du règlement d’exemption sont remplies, les modalités de sélection ne devraient donc pas être un obstacle à l’exemption de l’interdiction. Lorsque le droit communautaire est applicable, le principe de primauté de ce dernier sur le droit national s’impose aux juridictions et autorités nationales. Toutefois, les tribunaux français ne sont pas toujours très cohérents sur l’application de ce principe. La Cour d’appel de Paris a ainsi pu vérifier si les critères de sélection d’un réseau de distribution étaient justifiés, objectifs et non discriminatoires alors même que la part de marché du fournisseur n’était que de 14% .

3. PROTECTION DU RESEAU

Pour fonctionner pleinement, un réseau de distribution sélective doit être étanche, ce qui est le cas lorsque le fournisseur parvient à réserver aux distributeurs agréés la vente de ses produits ou services. Sur le plan contractuel, les contrats de distribution sélective contiennent en général (1) une clause par laquelle le fournisseur s’engage à ne vendre les produits qu’aux distributeurs agréés et (2) une clause par laquelle les distributeurs agréés s’engagent à ne pas vendre les produits à des distributeurs non agréés. Lorsque le réseau est licite, le fournisseur peut alors agir en justice contre les revendeurs hors réseau.

C’est au fournisseur, qui commercialise ses produits au travers d’un réseau de distribution sélective et qui demande la condamnation d’un distributeur non agréé, de prouver la licéité de son réseau . Si cette démonstration est apportée, plusieurs actions peuvent être intentées par le fabricant des produits et/ou ses distributeurs contre les distributeurs hors réseau.

Il est possible d’introduire une action en responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. Les distributeurs non agréés peuvent être sanctionnés sur ce fondement pour s’être rendus coupables de la violation de leurs obligations contractuelles par les distributeurs agréés ayant revendu leurs produits hors réseau, ce qui suppose qu’ils en aient eu connaissance . L’article L.442-6I- 6° du code de commerce est récemment venu ajouter à ce fondement général une base légale spécifique, sanctionnant le fait de « participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ».

Toujours sur le même fondement juridique, l’action à l’encontre du revendeur non agréé peut être qualifiée d’action en concurrence déloyale si le demandeur peut prouver une faute spécifique du distributeur non agréé. Les comportements suivants ont pu être qualifiés de fautifs : le fait de vendre des produits bénéficiant d’une technicité notoire par du personnel incompétent , le fait de commercialiser les produits selon un mode de commercialisation qui diffère de celui imposé aux distributeurs agréés , le fait de revendre les produits à un prix très inférieur et de faire des promotions à proximité des magasins pratiquant des prix normaux ou encore le fait de vendre des produits sur un site non-conforme aux normes du fournisseur .

Par ailleurs, le fabricant peut agir contre le distributeur non agréé sur le fondement de la contrefaçon de marque . Toutefois, le principe de l’épuisement du droit de marque vient limiter cette possibilité. Selon l’article L713-4 du code de la propriété intellectuelle, dérivé du droit communautaire, le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la communauté européenne ou dans l’espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement. Un tempérament est toutefois prévu par ce même article, selon lequel le propriétaire de la marque peut s’opposer à tout nouvel acte de commercialisation s’il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à l’altération, ultérieurement intervenue, de l’état des produits. La CJCE a précisé que le titulaire de la marque pouvait interdire la commercialisation par un importateur lorsque ce dernier a reconditionné son produit, à moins que le reconditionnement n’affecte pas le marché, qu’il n’affecte pas l’image de marque du produit ou que le refus du titulaire de la marque vise à cloisonner artificiellement le marché .

4. VENTES SUR INTERNET

Un débat important est né, concernant la vente de produits sous distribution sélective sur Internet, de la position exprimée par la Commission européenne dans ses anciennes lignes directrices relatives aux accords verticaux, selon laquelle les ventes de distributeurs agréés sur Internet seraient des ventes dites « passives », qu’il serait abusif d’interdire ou de restreindre inutilement .

Les nouvelles lignes directrices de 2010 admettent que le fabricant puisse imposer aux distributeurs que leurs sites Internet respectent certaines normes de qualité, comme il le ferait pour les magasins et points de vente physiques, ainsi que certaines règles relatives à la promotion des produits . Elles précisent en outre que le fabricant peut décider de ne vendre ses produits qu’à des distributeurs qui disposent d’un point de vente physiques, afin que les consommateurs puissent se rendre sur place pour tester les produits . En revanche, elles maintiennent le principe selon lequel les distributeurs agréés doivent pouvoir vendre les produits sur Internet.

Dans plusieurs décisions récentes, l’autorité française de la concurrence a suivi la position de la Commission et considéré que l’interdiction faite par le fabricant à ses distributeurs, membres du réseau de distribution sélective, de vendre ses produits sur internet est contraire aux règles posées aux articles 101 du TUE et L420-1 du Code de commerce .

Cette « interdiction d’interdire » à des distributeurs agréés de vendre sur Internet a finalement donné lieu, en octobre 2009, à une question préjudicielle de la Cour d’appel de Paris à la Cour de Justice de l’Union Européenne . Dès lors que comme auparavant, la question des ventes par Internet n’est pas explicitement traitée dans le nouveau règlement, mais uniquement dans des lignes directrices de la Commission sans valeur juridique contraignante, la réponse qui sera apportée par la Cour de Justice à cette question reste parfaitement pertinente et pourrait remettre en cause l’approche de la Commission sur ce point. En attendant, un fournisseur peut juger prudent de continuer à autoriser ses distributeurs agréés à vendre sur Internet, sous réserve du respect de certaines normes de qualité.