Les associations professionnelles sont concernées par de nombreuses décisions. Les actes et décisions d’associations professionnelles, qui reflètent la volonté de leurs membres et supposent en principe l’accord de ceux-ci, peuvent être considérés comme une concertation entre entreprises et tomber dans le champ de l’article L.420-1 du code de commerce : « une entente peut résulter de tout acte émanant des organes d’un groupement professionnel, tel qu’un règlement professionnel, un règlement intérieur, un barème ou une circulaire » [Décision n°07-D-05 du 21 février 2007]. Dès lors que ces associations regroupent généralement des concurrents, leurs actions peuvent affecter les marchés de façon sensible et font donc l’objet d’une vigilance accrue.
Typologie des pratiques illicites
Cartels. L’association peut servir de vecteur à l’organisation d’une entente entre entreprises concurrentes sur les prix, la production et la répartition des marchés, ou du moins à l’échange d’informations nécessaire au fonctionnement de ce type d’entente. Le rôle de l’association dans ce contexte peut-être plus ou moins passif. Il arrive que les membres du cartel échangent des informations sensibles à l’occasion de réunions d’une association professionnelle, sans que celle-ci joue un rôle particulièrement actif dans cette concertation. L’association peut également participer activement à l’organisation du fonctionnement du cartel. Par exemple, un syndicat professionnel a pu être sanctionné parce qu’il sortait du cadre de sa mission de défense collective et d’assistance à ses membres en étant à l’initiative des réunions d’un cartel de répartition de marchés [Décision n°02-D-59 du 25 septembre 2002]. De même, une association professionnelle a été sanctionnée parce qu’elle se chargeait du contrôle du respect effectif par ses membres des tarifs fixés par un cartel [Décision n°03-D-36 du 14 juin 2002]. Une question essentielle est alors de savoir qui prend le risque d’amende : l’association et/ou ses membres (voir ci-dessous).
Harmonisation des comportements. Les actions de l’association ne doivent pas avoir pour objet ou effet d’harmoniser le comportement concurrentiel des entreprises membres. Ainsi, les pratiques de diffusion de barèmes de prix ou de consignes de prix au sein d’associations ou de syndicats professionnels sont régulièrement condamnées[Voir par exemple : Décision n°00-D-23 du 31 mai 2000; Décision n°01-D-35 du 6 juillet 2001, ; Décision n° 03-D-36 du 14 juin 2002, Décision n°07-D-16 du 9 mai 2007,; Décision n°07-D-41 du 28 novembre 2007] Souvent, ces pratiques reposent sur une lecture « corporatiste » de textes déontologiques ou même de la loi, à laquelle s’oppose le principe général de liberté des prix inscrit dans l’article L.410-2 du code de commerce [Décision n°07-D-41du 28 novembre 2008]. La mise en place par l’organisme professionnel de systèmes plus subtils pouvant affecter les prix, tels que des outils de calcul des coûts de gestion, peut également poser problème si elle est susceptible d’avoir pour effet d’harmoniser le comportement concurrentiel des entreprises qui les utilisent. Ainsi, le Conseil de la concurrence a analysé dans le détail un outil de gestion développé par une association d’économistes de la construction et diffusé auprès de ses membres. Il a estimé que l’utilisation de certains éléments de calcul forfaitaires pouvait avoir un effet d’harmonisation des calculs de coûts et donc des prix pratiqués par les entreprises concernées [Avis n°03-A-18]. De même, une décision de 2007 a considéré que la diffusion par un organisme professionnel d’orthopédistes d’une méthodologie tarifaire précise susceptible de conduire à un alignement des coûts, mais aussi de la marge des orthoprothésistes, pouvait inciter ces derniers à ne pas se déterminer en fonction de leur situation et de leurs données propres et à ne pas faire jouer la concurrence [Décision n°07-D-05 du 21 février 2007, non encore publiée. Il faut noter que le Conseil de la concurrence a néanmoins admis dans cette affaire que le système en cause pouvait bénéficier d’une exemption au titre de l’article L.420-4 du code de commerce. Voir aussi la décision n°07-D-21 du 26 juin 2007]. Dans cette même affaire un organisme professionnel a été sanctionné pour avoir diffusé des consignes précises visant à inciter ses membres à ne pas pratiquer de réductions tarifaires importantes dans le cadre d’appels d’offres organisés par les hôpitaux. Il reste à noter que les organismes professionnels invoquent fréquemment leur mission de défense des intérêts de leurs membres. Cependant, l’action syndicale ne peut en principe justifier, en tant que telle, des comportements anti-concurrentiels [Décision n°08-D-06 du 2 avril 2008].
Boycotts. La diffusion, par une association professionnelle, de messages visant à inciter des clients à ne pas acheter auprès de certaines entreprises ou à inciter des fournisseurs à ne pas livrer certaines entreprises peut avoir un effet anti-concurrentiel et être prohibée au titre de l’article L.420-1 du code de commerce. Certaines décisions considèrent, en fonction du message diffusé, que l’association a dépassé sa mission de défense des intérêts de ses membres. Il en est ainsi lorsqu’une association professionnelle de biologistes organise le boycott de certains fournisseurs afin de protester contre la modification par arrêté ministériel de la nomenclature des actes de biologie médicale [Décision n°98-D-25 du 17 mars 1998]. Il en va de même lorsqu’une association de taxis exclut l’un de ses membres de son réseau de radio-téléphone pendant un peu plus d’un mois, parce que celui-ci avait engagé un salarié pour exploiter son taxi [Décision n°97-D-40 du 4 juin 1997]. Ou encore lorsqu’une association professionnelle de distributeurs exerce des pressions et menace de déréférencement des fabricants afin que ceux-ci n’alimentent pas un circuit de distribution concurrent [Décision n°06-D-03bis du 9 mars 2006]. A également été sanctionnée l’organisation par une association professionnelle du boycott d’un appel d’offres lancé par une entité publique [Décision n°02-D-23 du 27 mars 2002].
Refus d’adhésion ou de labellisation. Le refus opposé à une entreprise qui souhaite adhérer à l’association peut être considéré comme anticoncurrentiel, lorsque ce refus n’est pas objectivement justifié et que l’adhésion à l’association revêt une importance particulière pour être présent sur le marché. Il en va de même pour les pratiques de recommandation, labellisation ou certification qui ne requièrent pas nécessairement une adhésion à l’association mais qui sont importantes pour l’exercice d’une activité économique. Le refus en soi peut constituer un abus, dans la mesure où il procède d’une discrimination [Voir par exemple : décision n°04-D-40 du 3 août 2004; Décision n° 08-D-26 du 5 novembre 2008]. En outre, les conditions exigées pour l’adhésion et/ou l’utilisation d’un label de l’association doivent être objectives, transparentes, non discriminatoires et justifiés au regard des objectifs légitimes poursuivis [Décision n°09-D-01 du 12 janvier 2009]. Par exemple, il a été estimé que le seuil d’auto-approvisionnement en produits de fermes exigé pour l’utilisation de la marque « Bienvenue à la Ferme » était conforme à l’objectif de qualité poursuivi par une association de fermes-auberges [Décision n°05-D-22 du 18 mai 2005]. De même, il a été considéré que les conditions d’accès à une chambre syndicale d’entreprises de déménagement étaient imprécises et subjectives, alors que l’adhésion à cette association conférait un avantage concurrentiel incontestable, voire « incontournable » pour certaines activités [Décision n°02-D-60 du 27 septembre 2002]. La Cour d’appel de Paris à toutefois réformé la décision rendue dans cette affaire en exigeant un niveau de preuve important quant à la démonstration du caractère indispensable de l’adhésion pour accéder ou se maintenir sur le marché [Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27 mai 2003]. Une association professionnelle ne devrait donc être sanctionnée, dans ce type d’affaires, qu’à la condition que soit démontré un véritable effet de restriction de concurrence sur le marché.
Lobbying. Le seul fait pour un organisme professionnel ou interprofessionnel de prendre une décision interne en vue de déterminer sa position dans le cadre d’une consultation par les pouvoirs publics, ne devrait pas être considéré comme constitutif d’un accord anti-concurrentiel [Décision n°06-D-21 du 21 juillet 2006]. Ainsi, le fait de s’inscrire « dans le contexte d’un débat public dans lequel les groupes socioprofessionnels font connaître leur point de vue pour défendre les intérêts de leurs membres » n’est pas anti-concurrentiel [Décision n°07-D-12 du 28 mars 2007]. L’autorité de la concurrence est toutefois susceptible de vérifier si, à l’abri ou à l’occasion des discussions qui ont lieu entre professionnels dans un tel contexte, les entreprises membres de l’organisme professionnel n’ont pas, par le moyen d’une entente prohibée, poursuivi un plan anti-concurrentiel destiné, par exemple, à évincer du marché tel ou tel type de producteur concurrent [Décision n°07-D-10 du 28 mars 2007]. De même des actions visant à restreindre l’accès à un marché à de nouveaux entrants, sous couvert de faire respecter une réglementation, peuvent être considérées comme anticoncurrentielles. Ainsi, dans une affaire dans laquelle un syndicat de taxi avait tenté de perturber le mécanisme d’attribution de nouvelles licences de taxis, il a été rappelé qu’il « appartient aux organismes professionnels de saisir les instances juridictionnelles lorsqu’un comportement leur semble illégal et non de faire pression sur l’ensemble de leurs adhérents afin qu’ils adoptent un comportement commun sur le marché » [Décision n° 08-D-23 du 15 octobre 2008].
Les risques encourus par l’association et par ses membres
Principes. En fonction du rôle plus ou moins actif de l’association et de ses membres dans la prise de décision et dans la mise en œuvre de la pratique anti-concurrentielle considérée, les amendes peuvent frapper l’association et/ou ses membres. Il peut toutefois sembler difficile de cerner les critères qui ont pu être appliqués par l’autorité de la concurrence. Ainsi, en matière de cartels, il paraîtrait normal que les membres de l’association soient sanctionnés individuellement puisque le cartel procède de leur volonté et suppose une mise en œuvre au niveau de chaque adhérent. Toutefois, le Conseil de la concurrence a pu décider dans certaines affaires qu’il convenait de sanctionner uniquement l’association [Voir par exemple la décision n°96-D-60 du 15 octobre 1996]. Dans d’autres décisions ont été sanctionnés à la fois l’association et ses membres, lorsque l’association avait pris une part active dans l’organisation du cartel, par exemple en mettant en place un système d’échanges d’informations entre ses membres ou un système de surveillance du respect des règles du cartel [Décision n°02-D-23 du 27 mars 2002, Décision n°02-D-59 du 25 septembre 2002,; Décision n°03-D-46 du 30 septembre 2003, Décision n°06-D-03bis du 9 mars 2006, Décision n° 08-D-32 du 16 décembre 2008]. Pour ce qui est des pratiques qui émanent de façon plus unilatérale de l’association professionnelle (par exemple les recommandations de prix, les refus de demandes d’adhésion et les appels au boycott), la plupart des décisions se contentent de sanctionner uniquement l’association, et non ses membres [Décision n°97-D-40 du 4 juin 1997, et Décision n°03-D-36 du 29 juillet 2003,]. Mais, là encore, ce principe n’est pas absolu et les membres de l’association peuvent également être sanctionnés lorsqu’ils ont pris une part active dans la conception ou la mise en œuvre de la pratique concernée [Décision n°98-D-25 du 17 mars 1998].
Assiette de l’amende. Alors qu’en droit français, l’assiette des amendes encourues par les associations professionnelles semblait dans de nombreuses affaires être constituée par les cotisations que celles-ci perçoivent, il a été précisé dans le règlement communautaire n°1/2003 du 16 décembre 2002 que l’assiette des amendes en droit communautaire est « la somme du chiffre d’affaires total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction de l’association » lorsque l’infraction porte sur l’activité de ses membres. Dans ce cas, le règlement prévoit que, si l’association n’est pas solvable, « elle est tenue de lancer à ses membres un appel à contributions pour couvrir le montant de l’amende. Si ces contributions n’ont pas été versées à l’association dans un délai fixé par la Commission, celle-ci peut exiger le paiement de l’amende directement par toute entreprise dont les représentants étaient membres des organes décisionnels concernés de l’association. Après avoir exigé le paiement au titre du deuxième alinéa, lorsque cela est nécessaire pour garantir le paiement intégral de l’amende, la Commission peut exiger le paiement du solde par tout membre de l’association qui était actif sur le marché sur lequel l’infraction a été commise ». Les entreprises concernées peuvent se défendre en démontrant qu’elles n’ont pas appliqué la décision de l’association et qu’elles en ignoraient l’existence ou s’en sont activement désolidarisées avant que la Commission européenne n’entame son enquête. Le droit français semble désormais s’orienter vers une application de ces mêmes principes, ainsi que cela ressort de plusieurs décisions récentes : « lorsque l’infraction au droit de la concurrence d’un organisme professionnel porte sur les activités de ses membres, il convient en effet de prendre en compte les capacités économiques de ceux-ci. A défaut, des comportements anti-concurrentiels ayant un impact significatif sur le marché pourraient ne pas être sanctionnés à un niveau suffisamment dissuasif » [Décision n°07-D-41 du 29 novembre 2007]. On ne peut donc que souligner la nécessité pour les entreprises de se soucier des pratiques des associations professionnelles dont elles sont membres, dans la mesure où ce sont elles qui, en définitive, sont susceptibles de payer les amendes.