Améliorer l’indemnisation de la contrefaçon : la loi ne suffira pas

Article publié dans la revue Propriété Industrielle de mars 2008, page 9.

L’objectif de la directive n° 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle était de mieux lutter contre la contrefaçon en harmonisant les règles applicables et en rendant les sanctions plus dissuasives

La loi de transposition n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 relative à la lutte contre la contrefaçon apporte des améliorations timides au système français d’indemnisation. Il ne sera possible de constater des progrès réels que si les plaideurs font un réel effort en matière de démonstration du préjudice

Jusqu’à présent, en l’absence de règles spécifiques, l’indemnisation du préjudice de contrefaçon était soumise à la règle du droit commun découlant de l’article 1382 du Code civil, selon laquelle il convient de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne en l’absence de fait dommageable – en l’occurrence, en l’absence de contrefaçon -.

Ce système impose que seul le préjudice direct et certain peut être indemnisé, et que seul le préjudice dûment justifié sera indemnisé au final.

La limitation de la réparation au préjudice subi et prouvé et les difficultés d’évaluation qui en découlent ont été désignées comme les principales causes de la faiblesse du montant des dommages-intérêts alloués par les tribunaux (Voir l’étude « Propriété industrielle : le coût des litiges, étude comparée entre la France, l’Allemagne, l’Angleterre, les Etats-Unis et les Pays-Bas » réalisée sous la direction de G. TRIET en collaboration avec L. SANTARELLI, Editions de l’Industrie, mai 2000).

La perspective d’un résultat dérisoire obtenu au terme d’un procès long et coûteux rend en effet l’action en contrefaçon nettement moins efficace pour les plaideurs et peut même en décourager certains. Parallèlement, les actions pénales étant rarement utilisées, les contrefacteurs ne verraient pas de caractère dissuasif dans les sanctions prononcées au civil.

Insatisfaction et inefficacité qui engendrent naturellement une perte d’attractivité des droits de propriété industrielle et surtout la dévalorisation d’un actif essentiel de l’entreprise.

Les nouvelles dispositions de la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007 relative à la lutte contre la contrefaçon empruntent à la directive sa timidité face au préjudice de contrefaçon. Pour reprendre les termes du Rapporteur à l’Assemblée Nationale, il s’agit « plus d’une amélioration que d’une révolution » (I). Pour améliorer réellement le sort des victimes de contrefaçon, il est essentiel que les plaideurs accomplissent un véritable effort de justification (II).

1. L’apport de la loi dans le calcul de l’indemnité de contrefaçon

A. – Les objectifs initiaux

Le texte de la directive n° 2004/48 tend à accomplir deux objectifs principaux.

D’un point de vue territorial tout d’abord, la directive permet d’harmoniser les procédures civiles, ce qui simplifie l’action des titulaires de droits et devrait réduire la tentation de forum shopping au sein de l’Union européenne.

Financièrement ensuite, l’élargissement des bases de calcul du montant du préjudice tend à assurer une meilleure indemnisation des victimes de contrefaçon (Rapport n° 420 de M. Laurent BÉTEILLE, fait au nom de la commission des lois, sur le projet de loi de lutte contre la contrefaçon, déposé le 26 juillet 2007, http://www.senat.fr/rap/l06-420/l06-420.html).

L’intention était bonne, mais les rédacteurs de la directive n’ont pas pu saisir l’occasion de faire vraiment évoluer le système d’indemnisation.

La proposition de directive présentée par la Commission européenne le 30 janvier 2003 allait pourtant assez loin dans le caractère dissuasif des dommages-intérêts en prévoyant à l’égard du contrefacteur de mauvaise foi :

– soit le versement de dommages-intérêts « fixés au double du montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question » ;

– soit le versement de dommages-intérêts pouvant correspondre au « recouvrement, au profit du titulaire, de tous les bénéfices réalisés par le contrevenant qui sont imputables à cette atteinte et qui ne sont pas pris en compte dans le calcul du montant des dommages-intérêts compensatoires ».

Le texte de la directive a finalement maintenu le principe de la réparation intégrale et refusé l’introduction de mesures assimilables à des dommages-intérêts punitifs. Le règlement Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, prévoit en effet que les dommages et intérêts non compensatoires tels que les dommages et intérêts punitifs ou exemplaires, sont contraires à l’ordre public communautaire (Consid. n°32 du Règlement (CE) n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), JO L 199 du 31.7.2007, p. 40?49).

Unrapide commentaire des dispositions de la loi de transposition permet de se rendre compte de leur intérêt relatif et des difficultés d’interprétation qui ne manqueront pas de surgir.

– Les nouvelles règles d’évaluation

Le texte français offre aux demandeurs le choix de leur méthode d’évaluation, qui pourra correspondre, soit à un calcul des conséquences économiques de la contrefaçon, soit à un forfait fondé sur une redevance de licence fictive.

1° L’évaluation analytique

Le premier alinéa des articles L. 521-7 (dessins et modèles), L. 615-7 (brevets), L. 623-28 (obtentions végétales) et L. 716-14 (marques) du Code de la propriété intellectuelle, propose désormais une rédaction identique : « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l’atteinte ».

A noter que le législateur a réservé une rédaction légèrement différente en matière de droit d’auteur (article L. 331-1-3 du CPI) et d’indications géographiques (article L. 722-6 du CPI), en substituant la notion d’« auteur de l’atteinte » à celle de « contrefacteur ».

« Le manque à gagner ». – Cela relève de l’évidence. Le manque à gagner est issu de la dichotomie traditionnelle entre le lucrum cessans et le damnum emergens opérée par l’article 1149 du Code civil qui dispose que « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé (?) ». Malheureusement, le nouveau texte n’apporte aucun éclairage sur ce qui constitue la véritable difficulté : comment calculer le manque à gagner ? (V. infra n° 37 à 43).

« Les bénéfices réalisés par le contrefacteur ». – Le législateur a suivi la directive sur ce point et décidé que ces bénéfices doivent non pas être restitués ou recouvrés par le titulaire lésé mais seulement pris « en considération » dans le calcul de son préjudice. Cette rédaction risque de poser des problèmes d’interprétation.

Jusqu’à présent, le principe de réparation intégrale limitait le calcul aux données propres au titulaire du droit ou au marché considéré (capacités réelles de production du titulaire, existence de concurrents, ou de produits de substitution sur le marché?).

La prise en compte des bénéfices réalisés par le contrefacteur semble donc, soit inutile, soit contraire à l’ordre public communautaire : si le bénéfice réalisé par le contrefacteur est inférieur au préjudice prouvé par le titulaire, il n’aura aucun impact sur le montant de l’indemnisation. Si, en revanche, ce bénéfice est supérieur au préjudice prouvé par le titulaire, le principe de réparation intégrale interdit normalement de prendre en compte le surplus.

Certains auteurs considèrent en conséquence que la loi nouvelle met fin au principe de réparation intégrale (Voir Ch. Caron, La loi du 29 octobre 2007 dite « de lutte contre la contrefaçon » : Comm. com. électr. 2007, Etude 30. – Marina Cousté et Fl. Guilbot, Réforme de l’indemnisation du préjudice de contrefaçon en France : du jardin à la française à l’Eldorado américain : Propr. industr. 2007, Etude 26).

Dans la pratique, il est permis d’imaginer que si le contrefacteur a tiré un grand bénéfice de la contrefaçon, le tribunal pourra avoir tendance à majorer le montant obtenu ou se montrer plus indulgent envers la démonstration du préjudice du titulaire. Cependant, il n’est pas certain que ce texte ait l’effet dissuasif recherché et mette un terme aux fautes dites « lucratives », c’est-à-dire aux fautes qui rapportent plus qu’elles ne risquent de coûter en termes de dommages-intérêts.

Le projet de réforme du droit des obligations, dit « Projet Catala » remis le 22 septembre 2005 au Garde des Sceaux propose d’intégrer la notion de « faute lucrative » au Code civil. Tout en maintenant le principe de réparation intégrale, le projet ouvre la voie au versement, par l’auteur d’une faute lucrative, de dommages-intérêts punitifs pouvant bénéficier au Trésor Public (Voir http://www.henricapitant.org). Cette solution n’a pas été retenue dans la loi de lutte contre la contrefaçon – pas plus qu’elle ne l’avait été au niveau de la directive, dont les considérants rejetaient explicitement les dommages-intérêts punitifs.

Pour finir, il faut également souligner que les bénéfices réalisés par le contrefacteur ne sont pas plus faciles à évaluer que le manque à gagner du titulaire.

La saisie-contrefaçon est à cet égard un élément essentiel du dispositif, de même que le nouveau « droit à l’information » du titulaire, une fois la procédure lancée (CPI, art. L. 615-5-1, pour les brevets, art. L. 716-7-1 pour les marques, art. L. 521-5 pour les dessins et modèles). En effet, le plus souvent, les défendeurs à la contrefaçon refusent de communiquer en cours de procédure leurs comptes/parts de marché/fichiers clients, et les juges de la mise en état sont réticents à l’idée d’ordonner la communication de tels documents couverts par le secret des affaires, tant que la contrefaçon n’est pas établie.

Le demandeur a désormais les moyens de forcer le défendeur à produire les informations cruciales qu’il détient, telles que les noms et adresses des autres maillons de la chaîne de contrefaçon, ainsi que le prix et les quantités des produits contrefaisants.

« Le préjudice moral causé au titulaire des droits ».

– Comme le manque à gagner, cet élément est déjà connu et correspond de manière générale à l’atteinte à la réputation du titulaire et dans le domaine du droit des marques plus spécialement, à l’atteinte à l’image de marque (V. infra n° 49 et 50).

Tout l’enjeu de ce premier alinéa repose donc sur la façon dont les tribunaux interpréteront la prise en compte des bénéfices du contrefacteur au regard du principe de réparation intégrale.

Il est possible de croire que cette disposition ne tendra pas à une plus grande transparence des dispositifs des jugements dont on sait que la politique d’appréciation souveraine permet depuis longtemps de dépasser officieusement le principe de réparation intégrale.

2° L’évaluation forfaitaire

La possibilité d’une évaluation forfaitaire fait son apparition au deuxième alinéa des articles du Code précités : – « Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative, et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte ».

Comme pour le premier alinéa, le texte relatif au droit d’auteur diffère par la référence à la notion d’« auteur de l’atteinte ». La rédaction de l’article relatif aux indications géographiques ne mentionne pas de montant minimum.

Le texte français présente tout d’abord une singularité par rapport au texte européen que rien ne semble justifier. En effet, l’alternative proposée par le texte français ne pourrait être exercée que sur demande de la partie lésée, alors que le texte de la directive ouvre au juge la possibilité de l’exercer d’office.

Cette méthode d’évaluation vise « les cas où il est difficile de déterminer le montant du préjudice véritablement subi » (Dir. n° 2004/48, consid. 26). Elle est déjà connue de la jurisprudence française : les tribunaux considèrent en effet que lorsque le titulaire n’exploite pas son titre ou lorsqu’il l’exploite par l’intermédiaire d’une licence, le gain manqué est réparé par une « redevance indemnitaire », c’est-à-dire le prix de la licence qui aurait été concédée pour exploiter licitement la marque.

La redevance indemnitaire a été contestée par de nombreux auteurs (A. CHAVANNE, J.-J. BURST, Le droit de la propriété industrielle : Précis Dalloz, 5e éd., 1998. – J. AZEMA, Lamy Droit commercial, 2006). Par une application stricte du principe de réparation intégrale, ce mécanisme crée en effet une sorte de licence obligatoire encourageant à la contrefaçon : le contrefacteur peut espérer passer au travers des mailles du filet, et à défaut, être seulement condamné à la redevance qu’il aurait payée s’il avait demandé son autorisation au titulaire, redevance qu’il aura imposée au titulaire, qu’il paiera avec retard et à un prix fixé par le juge.

Dans ces conditions, et sous couvert du pouvoir souverain d’appréciation, certaines juges ont voulu par le passé majorer le taux de la redevance indemnitaire (Par exemple : TGI Paris, 1er juill. 1986 : PIBD 1987, III, p.287. – CA Paris, 12 nov. 1991 : PIBD 1992, III, p.194. – Cass. com., 1er mars 1994 : PIBD 1994, III, p.287). Tenant compte du fait que le contrefacteur n’est nullement un licencié contractuel, la chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré que « c’est à bon droit qu’un arrêt a condamné le contrefacteur d’un brevet à payer une redevance indemnitaire, fixée à un taux sensiblement supérieur à celui d’une redevance contractuelle » (Cass. com., 19 févr. 1991 : Annales 1991, p. 4). Cet arrêt a été appliqué par les juridictions inférieures au motif que, dans le cadre d’une négociation, le contrefacteur n’aurait pas été en mesure de refuser les conditions imposées par le titulaire du droit (CA Paris, 24 avr. 1998 : Dossiers Brevets 1998, II. 2).

Le texte de la directive semble avoir pris en compte le risque d’injustice suscité par l’attribution d’une redevance indemnitaire, puisqu’il ne s’agit que d’un plancher d’indemnisation. Cependant, on retrouve là encore une ambiguïté face au principe de réparation intégrale qui ne pourra que susciter de la part des tribunaux des réactions officieuses nuisant à la clarté et à la prévisibilité du régime.

En conclusion, la loi du 29 octobre 2007 risque d’apporter une faible contribution à l’objectif d’amélioration de l’indemnisation. Elle est par ailleurs source d’ambiguïtés puisque la « prise en considération » des bénéfices du contrefacteur semble mal s’accorder au principe de réparation intégrale tandis que la notion de dommages-intérêts punitifs est explicitement écartée. Il faut sans doute voir dans cette loi une ligne directrice incitant les magistrats à faire preuve de plus de sévérité dans leurs condamnations et de plus d’indulgence dans la démonstration du préjudice. A condition, toutefois, que les cotes de plaidoiries ne restent pas désespérément vides?

2 – Les pistes pour améliorer le chiffrage du préjudice

Les magistrats se plaignent de l’indigence des cotes consacrées au calcul du préjudice. Ce calcul « à la louche » désavantage, le plus souvent, le titulaire qui obtiendrait beaucoup plus s’il communiquait les justificatifs adéquats. C’est d’ailleurs l’une des défenses classiques des contrefacteurs : pointer l’absence de pièces justifiant du préjudice afin d’en contester l’existence. Le véritable moyen d’obtenir une meilleure indemnité de contrefaçon est donc d’être performant dans la démonstration des « conséquences négatives » de la contrefaçon, pièces à l’appui.

– Détermination des chefs de préjudice et calcul de l’indemnité

Une identification fine et claire de chaque poste de préjudice et une évaluation financière rigoureuse donnent à la demande d’indemnisation de bien meilleures chances de succès.

1° Évaluer le manque à gagner

– Éléments du calcul. – L’évaluation des ventes manquées est nécessairement plus délicate en matière de marque qu’en matière de brevet, puisque le droit sur la marque ne donne aucun monopole de fabrication ou de vente sur des objets marqués. Il n’est donc pas possible d’affirmer que tous les produits mis sur le marché par le contrefacteur ont nécessairement privé de ventes le titulaire.

Quel que soit le droit de propriété industrielle invoqué pour déterminer le gain qu’aurait réalisé le titulaire en l’absence de contrefaçon, les juges prennent en compte différents éléments de fait :

– le volume de la contrefaçon, autrement appelé « masse contrefaisante » ;

– la durée de la contrefaçon ;

– l’exploitation du droit par son titulaire : si celui-ci n’occupe qu’une faible place sur le marché (en raison de l’insuffisance de ses capacités d’exploitation ou du manque d’efficacité de sa politique de marketing par exemple), il aurait été incapable d’effectuer les ventes réalisées par le contrefacteur et n’a donc pas été privé d’un gain sur ces opérations ;

– le rôle du droit dans la commercialisation des produits : son attractivité, sa notoriété, ou son ancienneté peuvent influencer la décision d’achat du client ;

– l’existence d’autres produits concurrents sur le marché peut conduire le juge à penser qu’en l’absence de contrefaçon, les clients ne se seraient pas nécessairement tournés vers les produits du titulaire.

Un arrêt de la cour d’appel de Colmar du 11 février 1997 (Annales 1998, p. 82) donne un bon exemple de l’utilisation de ces éléments : « L’indemnité doit être appréciée eu égard à l’importance relative de l’exploitation de la marque invoquée, au volume de la contrefaçon, à la nature similaire des produits respectivement vendus par le titulaire de la marque et par le contrefacteur, à l’identité de la clientèle ciblée et la notoriété relative de la marque invoquée, ainsi qu’au rôle de la marque dans la décision d’achat ».

En d’autres termes, l’indemnisation doit être calculée sur la base de la masse contrefaisante pondérée par les éléments tels que la durée de l’exploitation, la part de marché du titulaire, le comportement des acheteurs, etc. La loi du 29 octobre 2007 ajoute désormais un nouveau facteur à prendre en compte : les « bénéfices réalisés par le contrefacteur ».

– Réalisation du calcul final. – Au final, le gain manqué par le titulaire sera calculé sur la base de la marge réalisée par le titulaire lors de la vente des objets authentiques. En fonction des capacités de production du titulaire, celui-ci devra prendre en compte sa marge nette (marge après paiement des frais de fabrication, vente, publicité, impôts commerciaux et frais généraux) ou sa marge brute.

Le plus souvent, le titulaire n’aurait pas pu exploiter la totalité de la masse contrefaisante sans augmenter ses frais fixes et ses frais généraux. On retiendra alors la marge nette pour les ventes réellement manquées par le titulaire, et pour la partie des ventes qui dépassait ses capacités d’exploitation, s’ajoutera une redevance, car le titulaire aurait pu concéder une licence pour ces ventes (Cass. com., 27 oct. 1992 : PIBD 1993, III, p. 76).

Plus rarement, lorsque le titulaire aurait pu exploiter la masse contrefaisante sans augmenter ses frais, c’est la marge brute qui est retenue (CA Paris, 6 juill. 2001 : Annales 2001, p. 352).

FORMULE :

Gain manqué = (masse contrefaisante x éléments de pondération) x marge [brute/nette] du titulaire

2° Évaluer les pertes subies

Le titulaire doit impérativement penser à détailler et chiffrer ses autres chefs de préjudice à savoir, l’atteinte à sa réputation (ou, en matière de marque, à l’image de celle-ci) et les conséquences indirectes de l’atteinte à son monopole.

Les conséquences indirectes de la contrefaçon peuvent être les suivantes :

– perte de clients au profit du contrefacteur, et éventuellement une perte des ventes « associées » réalisées sur d’autres produits grâce à l’attraction et la fidélisation d’une nouvelle clientèle ;

– baisse des prix consécutive à l’introduction des produits contrefaisants sur le marché ;

– dépréciation des investissements engagés pour la conception, la création et la promotion de la marque (malgré l’absence de manque à gagner, le simple fait de profiter de la publicité et des recherches constitue un préjudice économique qui doit être indemnisé, voir Cass. com., 25 févr. 2003, n° 01-10.972) ;

– frais de publicité nécessaires pour compenser les effets de la contrefaçon ;

– frais du procès (CA Paris, 12 févr. 1982, Gaz. Pal. 1983, somm. p. 310) ;

– l’atteinte au droit de propriété : il s’agit d’un dommage de principe attaché à toute contrefaçon, mais ne donnant lieu qu’à une indemnité symbolique (TGI Bayonne, 8 mars 1993 : RDPI 1994, n° 51, p.56). Par exemple, lorsque la contrefaçon n’a causé aucun préjudice commercial au titulaire car la marque n’est pas exploitée mais seulement déposée, le titulaire peut réclamer une réparation pour la seule atteinte à son droit de propriété.

Outre ces conséquences indirectes de la contrefaçon, le titulaire du droit subit également un « préjudice moral » visé par la nouvelle loi et qui recouvre l’atteinte à la réputation du titulaire (ou, le cas échéant, l’atteinte à la marque).

En matière de marque, le préjudice moral comprend :

– une banalisation ou une vulgarisation de la marque plus ou moins marquée en fonction de la durée et du volume de la contrefaçon (CA Paris, 12 oct. 2001 : Annales 2002, p.12) qui lui fait perdre une partie de son pouvoir distinctif (CA Paris ,1er oct. 1997, Royer c/ Adidas : Annales 1998, p. 46, allocation de près de 30 000 euros de dommages-intérêts au titre de la vulgarisation);

– avilissement/ discrédit/ perte de prestige/ dégradation de la qualité perçue par le client : lorsque la marque est associée à des produits ou services de moindre qualité, de qualité médiocre, ou à des conditions de vente ne correspondant pas aux critères imposés par le titulaire (Cass. com., 9 févr. 1999, Chevignon c/ Carrefour: PIBD 1999, III, p.276, marque associée à des produits de qualité insuffisante). Cette réparation est principalement prévue à l’égard des marques renommées. Dans le cas de produits de qualité médiocre contrefaisant des produits de luxe, l’atteinte à l’image de la marque sera le préjudice le plus significatif, puisque la grande différence de prix n’aura eu qu’un faible impact sur les ventes du titulaire.

L’affaiblissement du pouvoir distinctif de la marque et donc sa perte de valeur étant particulièrement difficiles à évaluer, les plaideurs se contentent généralement d’avancer un chiffre sans démonstration, ce qui entraîne l’allocation d’indemnités modestes.

L’atteinte à l’image de la marque peut néanmoins être mesurée à partir des effets de la contrefaçon (pertes de part de marché, baisse de prix?). A ce propos, des méthodes précises d’analyse qualitative et quantitative ont été élaborées par des cabinets d’études marketing afin de mesurer la valeur financière de la marque et la déperdition de valeur consécutive à la contrefaçon.

Le droit de propriété industrielle étant un actif économique et incorporel de l’entreprise obtenu à la suite d’investissements multiples, ces études sont utiles pour démontrer non seulement la perte d’image du produit imité, mais aussi la dépréciation des investissements (mise au point, référencement et publicité) qui résulte de la confusion introduite par la contrefaçon (Voir M. NUSSENBAUM, Évaluation du préjudice de marque, le cas particulier de l’atteinte à l’image de marque : JCP E 1993, I, 303).

B. – L’effort de justification du préjudice

L’allocation d’une indemnité de contrefaçon est réellement conditionnée par l’aptitude du titulaire à apporter des données permettant de chiffrer les atteintes. Cependant, « cet aspect du litige est souvent négligé par les conseils qui ont tendance à ne développer aucune argumentation, à ne fournir qu’un nombre infime d’éléments d’appréciation, voire aucun élément, alors même que les sommes réclamées sont importantes » (S. MANDEL, L’indemnisation du préjudice en cas de contrefaçon de marque ou de modèle, Gaz. Pal. 1996, p.600).

En dehors des cas où une expertise sera prononcée, l’effort de justification du titulaire revêt donc une importance cruciale.

1° L’anticipation

Une entreprise peut faire évaluer ses droits de propriété industrielle avant que ceux-ci ne fassent l’objet d’une contrefaçon. Cette démarche d’évaluation est d’ailleurs nécessaire pour connaître la valeur des droits en tant qu’actifs incorporels de l’entreprise.

En comparant cette évaluation à une seconde étude réalisée après la contrefaçon, il est plus facile de mesurer l’ampleur du préjudice. Ce procédé est, on l’a vu, particulièrement utile pour mesurer le préjudice d’image d’une marque.

Par ailleurs, le titulaire a tout intérêt à utiliser la procédure de saisie-contrefaçon et faire procéder par huissier à la description détaillée, avec ou sans saisie réelle, des produits contrefaits, et faire saisir tous les documents nécessaires à l’établissement de l’étendue de la contrefaçon (factures, commandes, etc.).

2° Les pièces à produire au procès (liste indicative)

Parmi les nombreux documents utiles pour la détermination du préjudice de contrefaçon, certains sont déjà nécessairement entre les mains du titulaire du droit ; d’autres nécessitent de sa part un effort de recherche plus conséquent.

Preuve de l’existence et de la valeur du droit :

– Certificat d’enregistrement (avec justificatif de la chaîne des droits),

– Description des produits ou services concernés (exemplaires, prix, catalogues p.ex.) permettant au juge de se rendre compte des spécificités des produits contrefaits,

– Documents comptables attestant la valeur du droit comme actif incorporel de l’entreprise (bilans?).

Preuve de l’exploitation et la notoriété :

– Documents relatifs à la part de marché et l’étendue géographique, la durée, le volume d’exploitation des produits (articles de presse, brochures publicitaires et catalogues datés, rapports internes?),

– Sondages en situation d’achat.

Preuve du gain manqué et des effets de l’arrivée du contrefacteur sur le marché :

– Preuves du nombre et du prix unitaire des objets authentiques et des objets contrefaisants écoulés,

– Attestations des commissaires aux comptes établissant une comparaison des chiffres d’affaires avant et après contrefaçon,

– Courriers de réclamation ou d’annulation de commandes par des clients ou des revendeurs,

– Pour la redevance indemnitaire : documents relatifs au taux pratiqué par le titulaire envers un licencié légitime ou le taux pratiqué sur le marché.

Preuve des pertes subies :

– Documents établissant les baisses de prix,

– Courriers de refus de contracter émanant de licenciés ou acquéreurs potentiels en raison de la présence de contrefacteur sur le marché,

– Lettres de protestation de la part des licenciés légitimes du titulaire,

– Investissements endommagés par la contrefaçon : études marketing, recherches d’antériorités, frais d’acquisition du droit, frais de référencement des produits, frais de détection des contrefaçons par une société de surveillance, budget publicitaire sur les cinq dernières années, augmentation de ce budget pour compenser les effets de la contrefaçon sur les ventes.

Documents relatifs aux frais engagés à l’occasion du procès

– Notes de frais et honoraires versés : à l’expert, à l’huissier, au conseil en propriété industrielle, à l’avocat,

– Frais engagés auprès des cabinets d’étude pour les enquêtes d’image et sondages,

– Évaluation du coût du temps passé par le personnel de l’entreprise à préparer le procès,

– Devis de publication détaillé si cette mesure est envisagée.

Procurer aux juges les justificatifs permettant de déterminer objectivement le préjudice permet sans aucun doute d’augmenter l’indemnité de contrefaçon.

L’intérêt relatif des nouvelles dispositions de la loi du 29 octobre 2007 doit être compensé par un effort significatif de la victime de contrefaçon pour la preuve de son préjudice.