Actualités jurisprudentielles du dernier trimestre 2023 en matière de contrats publics

DROIT DES CONTRATS PUBLICS

 

  1. Contentieux des contrats publics

1.1    Précisions sur les conditions d’accès au recours « Transmanche »

Par une décision du 24 octobre 2023, le Conseil d’Etat a apporté des précisions importantes sur l’appréciation de l’intérêt à agir dans le cadre du recours dit « Transmanche ».

Pour rappel, ce recours permet aux tiers (i) de contester, suite à une demande préalable de leur part en ce sens, la décision d’une personne publique refusant de résilier un contrat administratif et (ii) de demander au juge de mettre un terme à la relation contractuelle (CE sect. 30 juin 2017, SMPAT, n° 398445). En d’autres termes, il s’agit de permettre à un tiers d’obtenir la résiliation d’un contrat administratif.

 

A/ L’engagement de cette voie de recours est soumis à deux conditions restrictives :

a. d’une part, l’action est ouverte aux seuls tiers justifiant être lésés dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la poursuite de l’exécution du contrat,

b. d’autre part, les tiers ne peuvent soulever que des moyens tendant à établir que le juge doit mettre fin à l’exécution du contrat et qui sont en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent (modifications des circonstances de fait ou du droit applicable à un contrat légalement conclu, existence d’un vice d’une particulière gravité, poursuite de l’exécution du contrat manifestement contraire à l’intérêt général).

B/ Précisions et restriction de l’intérêt à agir : le Conseil d’Etat a jugé que la seule qualité d’entreprise concurrente qui était, par le passé, attributaire du contrat ou qui pourrait se porter candidate à une éventuelle procédure de mise en concurrence en vue de la conclusion d’un nouveau contrat ne suffit pas à lui conférer un intérêt lésé. Le requérant doit démontrer que la poursuite de l’exécution du contrat est de nature à mettre en cause sa propre existence, sa pérennité ou une part très substantielle de son activité.

 

A noter : le rapporteur public au Conseil d’Etat a, sur cette affaire, relevé que le recours « Transmanche » n’a pas été conçu pour faire « office de doublon ou de session de rattrapage » du recours en contestation de la validité du contrat dit « Tarn-et-Garonne ».

CE 24 octobre 2023, Commune des Baux-de-Provence, n° 470101.

 

1.2    Précisions relatives au recours « Béziers I »

Depuis sa décision « Béziers I » rendue en 2009, dit « recours en contestation de la validité du contrat par les parties », le Conseil d’Etat admet que les parties à un contrat saisissent le juge pour en contester sa validité. Dans le cadre de son contrôle, le juge décelant une irrégularité peut soit décider de la poursuite du contrat soit prononcer sa résiliation. Ce n’est que lorsqu’il estime que le contenu du contrat est illicite ou qu’il décèle un vice d’une particulière gravité tenant aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement qu’il en prononce l’annulation.

En revanche, dans le cadre d’un litige relatif à l’exécution du contrat, le juge ne peut qu’écarter l’application du contrat lorsque celui-ci est entaché d’irrégularités mais en aucun cas en prononcer la résiliation ou l’annulation. Dans cette hypothèse, il règle alors le litige sur un terrain extracontractuel (autrement dit, le juge peut « désactiver » les clauses du contrat pour les besoins de la résolution du litige mais le contrat n’est pas annulé).

Par une décision du 27 novembre 2023, le Conseil d’Etat a été amené à rappeler que le juge de première instance ne peut décider d’annuler un contrat au motif que son contenu est illicite alors qu’aucune des parties à un litige relatif à son exécution n’en a demandé l’annulation. Il a ainsi été précisé qu’un jugement qui procèderait ainsi en première instance devrait être censuré en appel, si besoin par un moyen relevé d’office par le juge d’appel.

 CE 27 novembre 2023, SNCF Mobilités c/ Région PACA, n° 462445.

 

  1. Exécution des marchés publics

2.1. La CJUE apporte des précisions sur le régime applicable aux modifications d’un marché en cours d’exécution

En premier lieu, la CJUE a admis que, pour rechercher si le contrat a subi une modification substantielle, le juge ne doit pas s’en tenir à l’existence d’un avenant au contrat ayant pour objet de formellement acter cette modification. En effet, une modification peut également découler de tout indice manifestant volonté commune des parties et se déduire notamment d’autres éléments écrits. C’est une illustration typique du contrôle finaliste opéré par la CJUE afin de prévenir les contournements des règles de marché public.

 

Rappel : les principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats font obstacle à ce que les dispositions d’un marché soient, postérieurement à l’attribution de celui-ci, modifiées d’une manière telle qu’elles présenteraient des caractéristiques substantiellement différentes de celles du marché initial.

En second lieu, la CJUE a considéré que, en l’absence de clause de revoyure, l’exécution des travaux au-delà du délai fixé dans le contrat initial en raison des conditions météorologiques défavorables habituelles constitue une modification substantielle du marché. Les conditions météorologiques ne relevaient pas, dans les circonstances de l’espèce, de « circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir ».

 

Rappel : des modifications apportées au contrat, même sans être préalablement convenues entre les parties (telles que la prolongation de la durée d’exécution du contrat sans application des pénalités de retard), peuvent être justifiées par des « circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir » sans nouvelle procédure de passation.

Cet arrêt permet notamment de rappeler l’intérêt et l’importance d’intégrer des clauses légitimes de revue des délais ou des coûts dans les contrats publics.

CJUE 7 décembre 2023, Zamestnik-ministar c/ Obshtina Razgrad, aff. C‑441/22.

 

2.2. Précisions sur l’étendue du devoir de conseil du maître d’œuvre

Après la réception des travaux, le maître d’ouvrage ne peut plus rechercher la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre à raison d’un vice de conception (CE 2 décembre 2019, Société Guervilly et autres, n° 423544). En revanche, le juge administratif impose un devoir de conseil au maître d’œuvre au stade de la réception des travaux, ce dernier pouvant voir sa responsabilité engagée s’il s’est abstenu d’avertir le maître d’ouvrage quant à des désordres affectant l’ouvrage et dont il pouvait avoir connaissance.

L’obligation de conseil inclut la vérification de la conformité de l’ouvrage :

a/ aux stipulations contractuelles,

b/ aux règles de l’art, et

c/ à toute règlementation applicable à l’ouvrage, en ce compris toute nouvelle règlementation qui entrerait en vigueur en cours d’exécution des travaux (depuis CE 10 décembre 2020, Commune de Biache-Saint-Vaast, n°432783).

Par sa décision du 22 décembre 2023, le Conseil d’­­­­­­­­État élargit ce devoir conseil en considérant qu’il implique pour le maître d’œuvre de signaler au maître d’ouvrage toute non-conformité de l’ouvrage aux prescriptions techniques en matière de construction ou d’habitat qui lui sont applicables, même si le vice est constitué depuis la conception de l’ouvrage.

Postérieurement à la réception des travaux, la responsabilité du maître d’œuvre peut donc être engagée à raison d’un vice de conception au titre d’un manquement à son devoir de conseil.

CE 22 décembre 2023, OPH Domanys, n° 472699.

 

Contact

Pour toute question, n’hésitez pas à contacter Etienne Amblard (amblard@aramis-law.com), associé responsable du département droit public d’Aramis et Ananova Lohmann (lohmann@aramis-law.com), collaboratrice au sein du département droit public.

L’équipe Droit Public d’Aramis a été classée dans le tier 3 du classement Legal 500 EMEA 2023.