Panorama du contentieux de la franchise

La conclusion et la mise en oeuvre des contrats de franchise donne lieu, en pratique, à un contentieux important. S’il n’est pas possible d’être exhaustif dans un matière aussi riche, cet article vise néanmoins à brosser un tableau synthétique du type de contentieux qui se répète habituellement dans le domaine de la franchise.

1- La conclusion du contrat de franchise

Comme on le sait, le législateur a voulu protéger les futurs franchisés en prévoyant que le contrat doit être conclu par écrit ainsi qu’une obligation spécifique d’information précontractuelle par le franchiseur 20 jours au moins avant la conclusion du contrat de franchise assorti d’une exclusivité ou quasi-exclusivité (loi Doubin du 31 décembre 1989, article L. 330-3 du code de commerce). Un décret du 4 avril 1991 précise le contenu de ce document précontractuel et la sanction pénale en cas de non-respect de l’obligation d’information (contravention de la 5ème classe). On renverra à la loi et au décret, qui sont assez clairs sur les règles à suivre.

Cependant, indépendamment de l’obligation légale d’information précontractuelle, un contentieux important c’est développé sur la base des règles de droit commun concernant les vices du consentement.

Ces règles permettent d’annuler le contrat de franchise lorsque le franchisé a été victime d’un dol, c’est-à-dire de manoeuvres dolosives du franchiseur sans lesquelles le franchisé n’aurait pas signé le contrat. Ces manoeuvres peuvent concerner le contenu de l’information précontractuelle résultant de la loi Doubin, mais aussi toute autre circonstance afférente à la conclusion du contrat de franchise.

L’existence de manoeuvres dolosives du franchiseur et la question de savoir si elles ont été déterminantes pour le franchisé est une question de fait, jugée au cas par cas par les juges du fond. Par exemple, la Cour d’appel de Lyon a estimé que la fourniture d’un document précontractuel non conforme et faisant état de chiffres d’affaires et marges prévisionnels irréalistes au vu des résultats de l’exploitant précédent avaient pu vicier le consentement du franchisé (arrêt du 3 juin 2004, ?Casino / Flucas ?). De même, la Cour d’appel de Paris a jugé qu’un franchiseur avait trompé son franchisé en minimisant les difficultés rencontrées et causées par le précédent exploitant et le nombre de résiliation de contrats de franchise au sein de son réseau l’année précédente (arrêt du 8 avril 2004, ?Mediligne / Replay Incentive Consulting?). La Cour d’appel de Montpellier, enfin, a annulé un contrat de franchise parce que le savoir-faire promis était inexistant car sans originalité et les chiffres prévisionnels annoncés étaient exagérément optimistes (arrêt ?Manufrance MF/Camus? du 26 novembre 2002). Les exemples de décisions en ce sens sont abondants.

Le vice du consentement peut donc porter sur les perspectives de rentabilité, sur le bon fonctionnement du réseau et la consistance de la franchise. Une franchise reposant, par définition, sur un savoir-faire spécifique et/ou une notoriété propres à assurer sa rentabilité, éléments qui constituent la justification du paiement d’un droit d’entrée et de redevances au franchiseur, une présentation fallacieuse portant sur le savoir-faire ou la notoriété du réseau est susceptible d’entraîner l’annulation du contrat. Il est à noter qu’un certain nombre de décisions se fondent également sur l’absence de cause pour annuler le contrat de franchise qui ne repose pas sur un savoir-faire véritable. Par exemple, la Cour d’appel de Montpellier a annulé un contrat de franchise pour absence de cause parce que le savoir-faire objet de la franchise s’était avéré limité à un nombre réduit d’applications pratiques (arrêt ?centre automobile / Euro Quick ? du 7 janvier 2003).

Le vice du consentement entraîne l’annulation du contrat, c’est-à-dire le retour à l’état antérieur à sa conclusion, qui implique en principe la restitution des sommes perçues par le franchiseur et éventuellement des dommages-intérêts. La Cour de cassation a précisé que la fourniture d’études prévisionnelles grossièrement surévaluées pouvait également constituer un manquement contractuel du franchiseur et donc un motif de résiliation (et non seulement d’annulation) du contrat de franchise (arrêt du 7 juillet 2004, n°02-19.289).

2- Le fonctionnement de la franchise

Toutes sortes de contentieux se sont développées concernant l’étendue des obligations du franchiseur et du franchisé. Les situations exposées ci-dessous ne sont naturellement pas exhaustives – il existe en particulier de nombreuses affaires concernant la simple inexécution d’obligations contractuelles.

a) obligation de conseil du franchiseur

Etant donné la jurisprudence de plus en plus exigeante en matière d’obligations de conseil des prestataires de service, on a pu se demander si le franchiseur avait une obligation générale de conseil à l’égard du franchisé, afin de lui permettre de réaliser pleinement les objectifs de la franchise. La cour d’appel de Paris semblait avoir répondu par la positive à cette question, en condamnant un franchiseur in solidum au paiement des loyers de son franchisé parce que le franchiseur aurait dû conseiller au franchisé de cesser son activité dès lors qu’il était évident que celle-ci ne serait pas bénéficiaire. La Cour de cassation a toutefois cassé cet arrêt par décision du 17 mai 2005 (n°04-12.176), précisant que l’obligation de conseil ne pouvait résulter que des stipulations du contrat.

b) concurrence déloyale au sein du réseau

Il est dans l’intérêt des franchisés de se voir attribuer une zone d’exclusivité pour développer leurs activités. Le franchiseur, en revanche, peut être tenté de multiplier les franchises pour générer un maximum de redevances (ce qui n’est pas sans danger, puisqu’une concurrence trop forte peut faire baisser les prix et donc l’assiette des redevances).

Lorsqu’une clause d’exclusivité est stipulée au contrat, son respect est sévèrement sanctionné. La Cour d’appel de Paris a, par exemple, condamné un franchiseur qui avait violé la clause d’exclusivité du contrat de franchise en désignant un autre franchisé pour l’utilisation d’une enseigne similaire dans la zone d’exclusivité contractuelle, à des dommages intérêts pour compenser le préjudice résultant du détournement de clientèle par le deuxième franchisé et à rembourser les redevances perçues durant la période d’infraction à la clause d’exclusivité (arrêt du 26 novembre 2003, ?Friendly France / les Fontanettes?). De même, un arrêt intéressant de la Cour d’appel de Bordeaux mérite d’être cité, en ce qu’il a condamné un franchiseur pour avoir mis en place un site Internet susceptible de priver le franchisé de la jouissance de ses droits exclusifs (arrêt ?Flora Partner / Eco Flor? du 26 février 2003).

Il faut toutefois noter que la franchise ne suppose pas nécessairement une exclusivité et que celle-ci doit donc être stipulée dans le contrat. La Cour de cassation a ainsi cassé un arrêt de Cour d’appel qui avait jugé qu’un franchisé jouissait de facto d’un droit exclusif sur sa zone de chalandise et que le franchiseur avait privé le franchisé de ce droit en désignant un autre franchisé dans la même zone (arrêt du 19 novembre 2002, n°01-13.492).

c) prise de contrôle du franchiseur

Il existe plusieurs décisions sur le caractère intuitu personae des liens contractuels entre le franchiseur et le franchisé et notamment sur le conséquences d’une éventuelle prise de contrôle du franchiseur par un tiers (surtout lorsque cette prise de contrôle émane d’un réseau concurrent). La Cour d’appel de Rennes a, par exemple, pu décider que la prise de contrôle d’un réseau de franchise régional par un grand groupe national pouvait justifier la résiliation des contrats de franchise par les franchisés dès lors que leur rapports avec le franchiseur initial était particulièrement lié à l’identité du réseau et à la personnalité des dirigeants du franchiseur (arrêt du 20 janvier 2004 ?Marie Bernard / Marybel et autres?).

d) cession de l’enseigne par le franchisé

Il paraît évident que la cession par le franchisé de son contrat de franchise et du droit d’utiliser l’enseigne à un tiers ne peut se faire sans l’accord du franchiseur, conformément au droit commun des contrats.
C’est ce qu’à confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 7 janvier 2004 (n°02-12.366), en ajoutant que le cessionnaire du contrat ne pouvait en tout état de cause devenir le nouveau franchisé du franchiseur sans conclusion d’un contrat écrit, conformément aux prescriptions de la loi Doubin. De même, la transmission par le franchisé du savoir-faire acquis au sein du réseau sans autorisation du franchiseur engage la responsabilité du franchisé (Cour d’appel de Nîmes, 22 mai 2003, ? Bonaudo / Verjo ?).

Il est toutefois à noter que le franchisé devrait pouvoir vendre son fonds de commerce, dans la mesure où il dispose d’une clientèle propre (même si la cession du contrat de franchise à l’acheteur du fonds reste soumise à l’approbation du franchiseur). La Cour d’appel de Paris a ainsi confirmé que, dans un contexte où le franchisé exerçait une activité autonome de restauration, avec un bon emplacement et un pouvoir d’attraction de la clientèle propre, qui n’était que renforcé par l’enseigne du franchiseur, le franchisé avait une clientèle propre et qu’il pouvait donc céder son fonds de commerce à un tiers (arrêt ?Gilma/Trebon? du 12 février 2003). Il est à noter qu’une autre conséquence de l’existence d’une clientèle propre – qui doit être vérifiée au cas par cas – est le bénéfice du statut des baux commerciaux par le franchisé, et donc de l’indemnité d’éviction en cas de résiliation du bail du franchisé (Cour d’appel de Paris, arrêt ?FBH Champigny / Atlas ? du 3 juillet 2002).

e) résiliation du contrat de franchise

Une fois le contrat valablement conclu, et sous réserve de son annulation ultérieure en raison d’un vice du consentement, le franchisé doit exercer ses activités pendant la durée prévue, le cas échéant, au contrat. La Cour d’appel de Montpellier a ainsi pu condamner un franchisé qui avait mis fin à son contrat 2 ans sans justification valable avant la date stipulée par le contrat, au paiement de dommages-intérêts au franchiseur en raison de la perte de redevances et du préjudice résultant de la perte prématurée de son enseigne dans la zone concernée (arrêt ?JL David/ Schmidt? du 21 septembre 2004.

Conformément à l’article L.442-6 du code de commerce, les parties doivent en outre respecter un préavis de résiliation adéquat, notamment au vu de la durée de leur relation passée. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a pu qualifier de ?brutale?, car sans préavis raisonnable, la résiliation par le franchiseur d’un contrat en vigueur depuis 13 ans (arrêt ?Textra / Bronks? du 5 mars 2003. A l’inverse, tout en précisant que le franchisé est libre de résilier un contrat à durée indéterminée, la Cour d’appel de Paris a condamné un franchisé à des dommages-intérêts pour ne pas avoir laissé au franchiseur un préavis suffisant pour lui permettre de trouver un nouveau franchisé (arrêt ?Nouvelle Vision / ENA? du 6 février 2003).

3- Droit de la concurrence

On renverra, pour plus de détails sur le contenu des règles applicables, à l’article consacré à l’application du droit de la concurrence aux contrats de distribution. Cependant, une mention spécifique doit être faite des conséquences du droit de la concurrence sur le contentieux de la franchise. En effet, l’article L. 420-1 du code de commerce, qui prohibe les accords restrictifs de concurrence, est généralement invoqué (avec peu de succès en pratique) par les franchisés qui souhaitent quitter le réseau ou justifier l’inexécution de certaines de leurs obligations – les arguments utilisés portant essentiellement sur deux points :

– l’imposition par le franchiseur des prix de revente au consommateur

– les clauses d’exclusivité et/ou de non-concurrence excessives pendant ou après le contrat

– les règles d’approvisionnement exclusif auprès du franchiseur

Il est à noter que les clauses de non-rétablissement post-contractuel font également l’objet d’un contentieux important, fondé non pas sur le droit de la concurrence, mais sur la jurisprudence générale de la Cour de cassation afférente à la validité des clauses de non-concurrence. Pour mémoire, une clause de non-concurrence doit être limitée quant à l’activité concernée, la durée et le lieu et être proportionnée au regard de l’objet du contrat. Ainsi, la Cour d’appel de Versailles a par exemple pu considérer qu’une clause de non-rétablissement de 3 ans sur la zone de chalandise concédée au franchisé était proportionnée au regard de la nécessité de protéger le réseau, dont l’existence, l’originalité et le savoir-faire étaient indéniables (arrêt du 12 juin 2003, ?JBS / Sodiclair Expansion?).